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les terres voisines. Ces aqueducs, de construction assyrienne, sont très pittoresques et donnent au paysage un caractère tout particulier. Annah est une ville importante qui contient environ cinq cents maisons d’argile éparpillées le long de la rive sur un espace de quatre milles et ombragées par des bouquets de dattiers, de figuiers et de grenadiers. Au milieu du fleuve se succèdent un certain nombre d’îles boisées et cultivées, où se montrent quelques moulins à blé avec leurs aqueducs en bon état. Sur la rive gauche sont les ruines d’Anatho, dont il reste peu de traces. Cette première partie de son voyage, non la plus périlleuse, accomplie, le colonel Chesney avait à reconnaître le fleuve, c’est-à-dire à le descendre, à le sonder et à relever la position des points principaux, afin d’en dessiner le cours. C’est dans cette seconde partie surtout qu’il montra tout ce qu’il avait de ressources dans l’esprit et d’énergie dans le cœur.

Il s’agissait avant tout pour M. Chesney de ne point éveiller la défiance des autorités locales, Dans cette intention, il se rendit chez le cheik, entouré d’une foule d’Arabes qui se pressaient sur ses pas pour voir l’étranger ; il expliqua à ce fonctionnaire que, voulant se rendre à Bagdad, l’état de sa santé ne lui permettait pas de suivre. la caravane à travers le désert, et qu’il désirait descendre l’Euphrate jusqu’à Felujah, d’où il atteindrait plus facilement sa destination. Le cheik accepta cette explication et consentit à envoyer au résident anglais à Bagdad, le major Taylor, un messager porteur d’une dépêche qui l’informait de ce projet.

Le mode de navigation le plus usité dans le pays est le radeau ; c’est une simple plate-forme de planches de 13 pieds 1/2 sur 14 1/2 avec un creux à la partie postérieure, et reposant sur un tissu de branches entrecroisées de 2 pieds d’épaisseur, sous lesquelles flottent des outres remplies d’air. C’est sur une embarcation de ce genre que, le 2 janvier 1831, le colonel Chesney commença son voyage ; il était accompagné d’un pilote arabe nommé Getgood, connu pour sa fidélité, d’un drogman, d’un jeune esclave et de deux Arabes chargés de diriger le radeau et de le maintenir au milieu du fleuve au moyen de rames dont l’extrémité, faite en bois de dattier, a la forme d’un éventail. Les deux Arabes se tenaient à l’arrière, assis, les pieds dans l’eau, prêts à souffler dans les outres pour remplacer l’air qui s’en serait échappé. Armé d’un compas de poche, le colonel relevait pendant la course la position des principaux points et faisait le croquis du cours du fleuve ; mais, comme tout sondage eût éveillé les soupçons, il avait imaginé, pour avoir approximativement la profondeur de l’eau, de fixer à la partie postérieure de l’embarcation une perche de 10 pieds qui se soulevait quand elle venait