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arbres, nombreux, pressés, touffus, masquent la vue ; l’échafaud, dressé presque contre les murailles de la prison, est en retrait, dissimulé autant que possible. Au lieu d’aller chercher le public, comme jadis, de le prendre à témoin de l’acte suprême que la société se croit forcée d’accomplir, on le relègue, on l’écarte, on se cache de lui. Sa présence, si peu apparente qu’elle soit, suffit à satisfaire l’esprit d’un texte de nos codes ; c’est assez, c’est peut-être trop.

Entre l’heure où le coupable debout devant le jury qui le juge, en face des conseillers qui appliquent la loi, a entendu prononcer contre lui la peine capitale, jusqu’à celle où, sortant de sa cellule entre l’aumônier de la prison et l’exécuteur en chef des arrêts criminels de la cour impériale de Paris, il fait ses derniers pas, de longs jours s’écoulent. Grâce au ciel, l’horrible loi de prairial n’existe plus ; un condamné ne passe plus du tribunal à l’échafaud. La justice française, lente et méticuleuse à dessein, redoutant les erreurs, environnant le coupable, quel qu’il soit, de nombreuses garanties où peut-être il trouvera son salut, laisse au criminel un répit qui lui permet de tenter la révision de son procès et d’invoquer la clémence du souverain. Les formalités employées, les précautions prises pour s’assurer du condamné, les préparatifs du supplice, le supplice même sont intéressans à étudier, et représentent le dénoûment du drame judiciaire dont j’ai déjà raconté les premiers actes[1].


I

Aussitôt que le président de la cour d’assises a prononcé la peine de mort, il se tourne vers le condamné et lui dit : « Vous avez trois jours pour vous pourvoir en cassation. » Après ces mots, l’audience est levée, et le condamné, livré aux gardes de Paris chargés de sa personne, est conduit à la Conciergerie. Il descend les soixante-dix-huit marches de l’escalier obscur et en vrille qui communique du Palais à la maison de justice. Traînant ses pieds sur les degrés de pierre, suivi par des soldats impassibles, c’est là souvent qu’il éclate en imprécations ou en aveux. Sa nature, qui si longuement s’est contenue pendant les débats, reprend le dessus et se fait jour. Parfois il sanglote, comme Momble, ou demeure muet et absorbé, comme Firon. Il traverse les grandes salles désertes, blanchies à la chaux, éclairées par la vive lueur du gaz, et met le pied dans la galerie de sa prison provisoire. Le directeur, les gardiens l’attendent. En présence de ces hommes qui ne sont pas nouveaux pour lui, il ne se contient guère : « Elle est jolie, votre justice ! » ou bien, pour indiquer la peine dont il est frappé, sans parler et levant les

  1. Voyez la Revue du 15 août 1869, le Palais de Justice à Paris.