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entendues. Les condamnés à mort le connaissent, ne serait-ce que par ouï-dire. Ils ont appris de leurs gardiens qu’il couche sur une paillasse parce qu’il a vendu jusqu’à ses matelas pour donner quelque argent aux pauvres prisonniers. Ils savent qu’il les accompagnera non-seulement à l’échafaud, mais au cimetière qui leur est réservé, et qu’il bénira la terre qui doit se refermer sur leur cadavre mutilé. Aussi est-il accueilli par eux avec une sorte de joie respectueuse. A-t-il sauvé beaucoup d’âmes ? C’est le secret de Dieu ; mais la violence et l’hypocrisie marchent de conserve moins rarement qu’on ne croit, et plus d’un condamné a dû insister pour voir l’aumônier le plus souvent possible, faire éclater son désespoir devant lui, se frapper la poitrine, demander des pénitences exagérées, dans l’espoir vague qu’un tel repentir, si vivement affiché, pourrait être porté à la connaissance des chefs mêmes de la justice, et ne pas être inutile lorsque l’heure serait venue de discuter le recours en grâce.

Les jours sont longs entre quatre murs et dans les étreintes de la camisole de force, ils passent trop rapidement cependant au gré du condamné qui les compte et qui suppute combien d’heures il lui reste encore à vivre. Quoique nul ne lui parle de ce qu’il appelle « son affaire, » il sait qu’on s’en occupe, que son avocat a réuni le faisceau de faits qui peuvent entraîner la cassation de la procédure, que la cour suprême va bientôt prononcer. Vingt, trente, parfois trente-cinq journées, toutes semblables, monotones et néanmoins agitées, se sont écoulées ; le temps est proche. Son inquiétude nerveuse s’accroît, il devient irritable. Le matin, quand on entre dans sa cellule pour relever les hommes de garde, il tressaille ; pendant la nuit, quoiqu’il soit si éloigné, si bien séparé de l’extérieur par deux chemins de ronde et par deux murs d’enceinte que nul bruit ne peut parvenir jusqu’à son oreille, il écoute et il croit entendre un marteau qui cloue des planches : obsession permanente et qui s’accentue souvent jusqu’à devenir une souffrance physique. Dans ces momens, lorsqu’à la lueur du quinquet qui brûle sans cesse, on le voit en proie à ces appréhensions terribles, on redouble de soins pour lui, on lui parle, et, comme le disait un vieux gardien, qui a vu passer bien des condamnés, on « essaie de le distraire. »

Cependant la justice poursuit son œuvre. La cour de cassation, jugeant au criminel, écoute un avocat qui argumente, fait valoir les moyens de nullité et demande le renvoi de l’affaire devant d’autres assises. Là, dans l’enceinte où siègent les sages de la magistrature, l’homme et son crime ne sont jamais en cause ; on ne prononce que sur des abstractions, et c’est la procédure seule que l’on examine. A-t-elle été régulière ? n’a-t-elle violé aucun des articles si minutieusement prévoyans de nos codes ? L’accusé n’a-t-il été frustré