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III

À quatre heures, le chef du service de sûreté arriva, et alors on vit revenir l’exécuteur, qui s’était absenté ; il reprit sa place devant les murs de la Roquette, assis, l’air souffrant et préoccupé. Le ciel, si brillant pendant la nuit, s’était couvert ; un vent violent de nord-ouest passait par rafales, et chassait les nuages amoncelés qui semblaient se perdre derrière les hauteurs boisées du Père-Lachaise. Les officiers se promenaient désœuvrés, causant entre eux, avec l’air de vague ennui de ceux qui accomplissent une corvée obligatoire. Vers quatre heures et un quart, le commissaire de police du quartier, le greffier de la cour impériale, le directeur du dépôt des condamnés, le chef du service de sûreté, l’aumônier visiblement troublé, étaient réunis dans le premier guichet de la prison. Le directeur, le chef de la sûreté, consultaient leur montre ; lorsque l’aiguille fut sur quatre heures et demie, ils dirent : Il est temps, et l’on se mit en marche.

On traverse la grande cour, le second guichet, les couloirs bordés de cellules où le bruit des pas a dû réveiller plus d’un détenu, et par un étroit escalier tournant l’on arrive au quartier de l’infirmerie. Un porte-clés en ouvre la porte avec mille précautions pour ne pas troubler à la dernière minute de son sommeil celui qui bientôt va entrer dans la nuit qui ne finit pas. La porte de sa cellule était entrebâillée, on entra ; l’homme, couché sur le dos dans son petit lit, paraissait assoupi. Le chef du service de sûreté lui dit : « Votre pourvoi a été rejeté par la cour de cassation, votre recours en grâce n’a point été accueilli, l’heure est venue. » Comme poussé par un ressort qui se détend, il se redressa brusquement et se tint assis, muet, regardant autour de lui, immobile dans sa camisole de force. L’aumônier le saisit dans ses bras, lui donna le baiser de paix et murmura : « Du courage, fiez-vous à la miséricorde divine. » Le chef de la sûreté reprit : « Il faut vous lever. » Sans dire un mot, sans faire un geste qui indiquât, non pas la résistance, mais seulement une velléité d’hésitation, l’homme sortit de son lit. Les gardiens l’habillèrent, non point avec le costume de la prison, mais avec ses propres vêtemens qu’on avait apportés. On lui enleva la camisole de force ; quand il vit ses mains nues, il les contempla avec une sorte de sentiment de pitié ; elles étaient solides, bien dessinées, aptes aux œuvres de l’adresse et de la force. On eût dit que pour lui elles étaient l’emblème de la vie même, et qu’il pensait : quoi ! si tôt ! tout va-t-il finir ? Lorsqu’on lui eut passé sa chemise, on le fit rentrer dans la camisole, opération lente et cruelle qui prolonge le supplice et ne sert à rien. Pendant tout ce temps, l’aumônier lui parlait à voix basse ; l’homme l’écoutait,