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pourquoi ne pas l’accomplir dans la cellule même du condamné, afin d’abréger ses angoisses et de le débarrasser plus rapidement de la torture qu’il subit depuis son entrée en prison, car la guillotine est bien plutôt la fin du supplice que le supplice lui-même ?

Le sujet est grave et veut qu’on s’y arrête. Refaisons le trajet de la cellule[1] à l’échafaud avec cet homme dont un brusque avertissement a brisé l’énergie et amolli les muscles. Il sort de son cabanon, il traverse une antichambre, une galerie ; il gravit vingt-six marches d’un escalier en vrille où deux personnes ne peuvent passer de front qu’avec une extrême difficulté ; il parcourt un corridor qui a plus de 100 mètres de longueur ; il descend onze marches, puis quinze ; il pénètre dans l’avant-greffe, il s’asseoit pour la toilette. Il franchit le vestibule, puis un perron de trois degrés. Il traverse la grande cour de la Roquette, il sort de la prison. Il s’avance encore de dix-sept mètres ; enfin il lui faut monter les dix marches qui aboutissent à la plate-forme où la mort l’attend. C’est tout simplement barbare. À quoi bon cette promenade à travers des escaliers et des couloirs ? Quatre coups de pioche ouvriraient à côté de la cellule même, dans le mur d’enceinte, une porte par où ce malheureux pourrait être conduit de plain-pied au supplice ; ne peut-on, si l’on recule devant cette mesure, le faire passer par les cours intérieures et éviter ces ascensions répétées, quitte à laisser apercevoir le funèbre cortège par les détenus. Pourquoi dix marches à l’échafaud ? Pourquoi cette flagrante contradiction ? On fait ce qu’on peut, avec raison, pour empêcher le public de voir ce spectacle, et c’est sur une estrade élevée qu’on pousse l’homme que l’on veut dérober à la vue de la foule ! On vient d’expédier à Alger une guillotine sans escalier, pourquoi n’en pas faire construire une semblable pour Paris ?

Dans la voie des améliorations, en ce qui concerne ces choses redoutables, on n’ira jamais assez loin, et les nations voisines nous ont clairement montré la route qu’il faut suivre. En Prusse, dans une partie des états de l’Allemagne, en Angleterre même, où les usages traditionnels gardent une puissance si persistante, les exécutions capitales ont lieu aujourd’hui à huis clos, dans l’intérieur même des prisons, en présence d’un certain nombre de fonctionnaires, de personnes déléguées, de mandataires de la presse :

  1. On peut être surpris que la Roquette soit si mal aménagée au point de vue des condamnés à mort ; cela tient à ce que dans le principe on n’y avait point pensé. C’est le 22 décembre 1836 que cette prison, primitivement désignée sous le nom de Petit-Bicêtre, fut constituée dépôt des condamnés. Dès 1838 (14 mars), on se plaignait qu’elle ne fût point convenablement disposée pour la garde des détenus frappés de la peine capitale. On remédia comme on put à cet inconvénient, on fit les cellules après coup, isolées des autres quartiers, et c’est ce qui explique, sans le justifier, la longueur du trajet que le malheureux doit faire pour se rendre au lieu du supplice.