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les sympathies de toute l’Europe libérale. Forts de ces sympathies et maîtres absolus du terrain parlementaire dans leur Reichsrath restreint de Vienne, les Allemands bâclèrent une charte qui devait assurer pour toujours leur omnipotence dans les pays de ce côté de la Leitha. On ne tint aucun compte ni de la diversité si grande de ces pays, ni de leurs traditions, de leurs droits historiques, de leurs autonomies séculaires : tout fut sacrifié à la centralisation, au progrès et au libéralisme germaniques. Pour couronner l’œuvre, les Allemands se choisirent un ministère qu’ils voulurent bien nommer « le ministère de toutes les capacités. » Nombre de docteurs y entrèrent en effet, tous nourris du suc de l’alma mater, tous éprouvés de longue date dans des luttes locales avec les Tchèques, les Moraves, Slovènes, etc. Les passions et les haines de clocher furent ainsi ingénieusement transportées au siège suprême du gouvernement ; M. de Beust lui-même dut se retirer dans l’empyrée de sa chancellerie et laisser faire désormais « le cabinet cisleithan ; » — le fameux dualisme pouvait enfin librement fonctionner.

Depuis lors, deux ans se sont écoulés. Tandis qu’en Hongrie tout a marché vers l’entente, l’apaisement et un régime parlementaire véritable, la monarchie cisleithane n’a cessé de présenter le triste spectacle d’une anarchie et d’une désaffection presque générales. Le « ministère de toutes les capacités » s’est montré incapable de résoudre une seule des questions qui intéressent la vie même de l’empire, et les difficultés n’ont fait que s’accumuler sur ses pas. En Galicie, il se trouve en présence de la « résolution » de la diète de Léopold « résolution » qu’on a bien pu laisser traîner dans le Reichsrath de 1869 par une inertie calculée jusqu’au jour de la clôture, mais à laquelle il faudra finir par répondre pendant la session de 1870. En Bohême, toute la pression administrative est impuissante à faire passer un seul candidat ministériel dans les élections partielles auxquelles on est forcé de procéder : sur soixante-dix députés tchèques démissionnaires, les collèges électoraux renvoient exactement soixante-dix députés tchèques qui s’empressent aussitôt de renouveler leur démission, et parmi ces collèges se trouve la capitale même du royaume, la grande ville de Prague ! En Dalmatie, une centralisation impérieuse doublée d’une impéritie administrative à peine croyable finit par provoquer une insurrection sanglante et par compromettre l’honneur des armes autrichiennes. Les résistances, les dangers surgissent ainsi de toutes parts, et ils ne pourront que s’accroître si l’on persiste à marcher dans la même voie. C’est qu’il est impossible d’escamoter longtemps la volonté des nations au moyen d’un pays légal savamment combiné et d’une représentation parlementaire artificielle : personne n’ignore que les Slaves forment l’immense majorité de l’empire des Habsbourg. Il est absurde, dans un siècle d’imprimerie, de journaux et d’instruction primaire, de vouloir détruire le caractère et le sentiment national d’individualités historiques aussi vivaces que la Bohême, la Galicie ou le Tyrol. On aura