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passé du Conservatoire pour faire au Théâtre-Lyrique une rapide apparition dans Rienzi. Elle y chantait un bout de rôle, le seul auquel fût échue une ombre de mélodie, qui, très agréablement interprétée d’ailleurs, valut à la modeste coryphée le succès de la soirée. Mlle Priola, le public l’ayant distinguée au Théâtre, ne pouvait rentrer au Conservatoire que pour y remporter un premier prix, et, comme on ne sait jamais ce qui arrivera, M. Auber, voulant éviter à la jeune élève jusqu’à la chance d’un échec dont ses débuts auraient souffert, la dirigea tout droit sur l’Opéra-Comique, où nous venons de voir qu’elle a reçu l’accueil le plus encourageant. La voix est fraîche, veloutée, elle a de la justesse, mais point de force ; rien encore à dire de son style, et la meilleure preuve que M. Auber ne répondrait ni de ses gammes chromatiques ni de son trille, c’est qu’il s’est bien gardé d’en mettre dans le rôle. La comédienne a de l’aisance, et, jusqu’à présent du moins, l’emporte de beaucoup sur la cantatrice, qui, tout en se recommandant par d’intéressantes qualités, reste une écolière. Quel dommage que Mlle Nau, l’autre débutante de cette soirée, n’ait à son service qu’un organe si frêle, si aigrelet, car celle-là du moins est musicienne et sait chanter ; mais on l’entend à peine. Tous ceux qui jadis, aux temps heureux où florissait Rosine Stoltz, ont connu la mère, la retrouveront dans la fille en diminutif, et Dieu sait si de corps et de voix la mère était déjà mignonne. En regardant cette gentille enfant, toute délicatesse et toute esprit, trottiner dans ce petit rôle de Denise, je pensais au mot de Mme de Sévigné et me disais avec la belle marquise : « Oh ! que voilà une famille où certainement, à la troisième génération, on gaulera des fraises. » Revenons à la partition. Si le Premier jour de bonheur succédant à la Circassienne, à la Fiancée du roi de Garbe, marque tout à coup comme un degré d’élévation dans la température, il semble avec ce Rêve d’amour que le thermomètre ait un peu fléchi ; l’auteur, après le soubresaut inattendu, s’est assoupi légèrement, dormitat Homerus. Volontiers nous porterions cette défaillance apparente au compte du poème, et cependant nous ne pouvons oublier que c’est sur une des pièces les plus médiocres qu’il ait jamais reçues de Scribe que M. Auber a composé les Chaperons blancs, un de ses chefs-d’œuvre ; n’importe, ce pastel musical un peu effacé, un peu vieillot, n’est point sans charmes, et il vous fait rêver à tout un monde évanoui. Rossini, qui tenait les chemins de fer en abomination, prophétisait la gloire et la fortune à celui qui, dans cinquante ans d’ici, inventerait les diligences. M. Auber semble aujourd’hui avoir quelque chose de cet inventeur rétrospectif ; il s’amuse à découvrir, à recomposer l’ancien opéra-comique, et s’en va tout doucement vers les sentiers perdus de Marsollier, de Sedaine et de Monsigny.

Qui voudrait l’en blâmer ? En sera-t-il moins l’auteur de la Muette pour avoir troqué son piano d’Érard contre une épinette ? Rendons plutôt hommage à cet infatigable amour du travail qui l’a jusqu’à présent