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Prusse les engageait tous à épouser sa querelle, et les invitait aussi à conclure avec elle un traité d’alliance permanente dont les clauses seraient arrêtées en commun avec un parlement national convocable dans le plus bref délai. Parmi ces états, les uns, comme Saxe-Cobourg et Oldenbourg, s’étaient empressés de répondre à cet appel. On avait dû peser sur les autres de tout le poids de son ambition et de son bonheur. Le 4 août, il ne restait plus que deux principautés renitentes, lesquelles ne devaient pas tarder à se rendre, Saxe-Meiningen et Reuss branche aînée, qu’on fit occuper par deux compagnies prussiennes. À cette date, la Prusse adressait à tous ses futurs confédérés une dépêche circulaire qui renfermait la minute du traité proposé. Aux termes de ce projet, les gouvernemens de l’Allemagne du nord devaient conclure avec Berlin pour un an une alliance offensive et défensive et mettre leurs troupes sous le commandement du roi Guillaume. Ce traité provisoire devait être rendu définitif par une constitution fédérale qu’élaboreraient et débattraient des plénipotentiaires de tous les intéressés réunis en conférence. Plus tard, par le traité qu’elle signa avec la Prusse le 21 octobre, la Saxe royale accédait à cette alliance et s’engageait à entrer dans cette future confédération, où Hesse-Darmstadt était aussi comprise pour la partie de son territoire situé au nord du Mein.

Le 15 décembre 1866 se rassemblèrent pour la première fois à Berlin, sous la présidence de M. de Bismarck, les plénipotentiaires des vingt-deux gouvernemens. La plupart avaient un nuage au front, de sombres pressentimens dans le cœur. Ils ne savaient que trop ce qui les attendait, ce qu’on allait leur demander et ce qu’ils ne pourraient refuser. Le maître était là, qui les tenait courbés sous son indomptable regard, portant sur son visage, comme parle Saint-Simon, « malgré le soin de se composer, un vif, une sorte d’étincelant » qui trahissait l’ivresse du triomphe et des vastes espérances. Il semblait compter et recompter ces têtes qui lui étaient si chères.

Au premier rang de ce mélancolique cortège se tenait la Saxe royale comme enfermée dans une fière solitude, se ressouvenant peut-être de son Frédéric le Sage, qui fut vicaire de l’empire, le patron de la réforme et l’âme de la ligue de Smalkalde. Tomber sous la coupe de la Prusse, lui prêter le serment d’hommage et d’allégeance, il en devait coûter à ce noble pays, grand par ses gloires comme par ses revers, dont les maîtres avaient longtemps effacé de leur éclat les électeurs de Brandebourg, et longtemps avaient paru destinés au sceptre de l’Allemagne du nord. A qui s’en prendront-ils de leurs abaissemens ? A l’infidèle fortune, à leurs fautes, à la réforme trahie, aux deux Auguste, à ces mains