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quel sera le chiffre du contingent de l’année ; c’est en moyenne 100,000 hommes. Ainsi qu’on l’a vu, tous ces hommes ne sont pas appelés dans le service actif par raison d’économie. Aujourd’hui 8,000 ou 10,000 recrues restent dans leurs foyers sous le nom de réserve de recrutement ; mais ils sont toujours à la disposition de l’autorité militaire, et ce chiffre pourrait être augmenté sans inconvénient très sensible pour la solidité de l’armée sur le pied de paix et sans diminuer en rien le chiffre de l’armée sur le pied de guerre. En vertu d’un ordre du généralissime, toute cette catégorie d’hommes qui ne sont libérés en quelque sorte que par tolérance, peut être rappelée sous les drapeaux. La législation française ne laisse pas au pouvoir exécutif une pareille latitude. Que sous le coup de nécessités imprévues, la Prusse croie devoir diminuer l’effectif de son armée sur le pied de paix, elle peut le faire sans altérer son effectif de guerre. En France, si les chambres se décident à diminuer de 20,000 hommes le contingent, cela équivaut après neuf ans à une diminution de 160,000 hommes sur le chiffre des troupes prêtes à entrer en campagne.

Ce qu’il importe surtout de ne pas perdre de vue dans le rapprochement établi entre nos institutions et celles de l’Allemagne du nord, c’est qu’en vertu de la constitution de ce dernier pays les dépenses militaires ne figurent que pour ordre au budget. Le montant en est invariablement fixé pour les cinq années qui n’expirent que le 31 décembre 1871, et, si le roi de Prusse croyait devoir faire des économies sur le chiffre des hommes incorporés, il pourrait les appliquer aux autres branches des services militaires. Quand cette échéance arrivera, le gouvernement obtiendra-t-il la prolongation des pouvoirs et des crédits qui lui ont été accordés si libéralement au lendemain de Kœnigsgrætz. C’est alors que se posera la question du désarmement. D’ici là, c’est à l’opinion publique allemande de réagir contre des tendances dont elle voit clairement le péril, et qui sont la cause du malaise de la situation. L’Allemagne peut juger ce que lui a coûté une politique qui échappe à son contrôle. Elle aura à décider si, pour compléter son organisation nationale, elle veut à tout jamais abandonner ses destinées entre les mains d’une chancellerie souveraine et irresponsable.


F. DE ROUGEMONT.