ne le prit au dépourvu. Ses discours sont des monumens de l’art de raisonner et de déraisonner, des chefs-d’œuvre d’escrime oratoire. Il semblait que cet homme, qui venait de donner à son pays cinq provinces, plus une ville impériale, et d’employer deux mois à dresser, la houssine à la main, des gouvernemens peu enclins à goûter la bride, sortît tout frais de son cabinet, l’esprit libre et dispos, qu’il n’eût rien de mieux à faire que de causer avec une assemblée, que de l’éblouir des étincelles de son esprit ou d’amuser ses inquiétudes par des jeux de gobelets. Le succès dissipe comme par enchantement les lassitudes de M. de Bismarck ; il avait la belle humeur d’un audacieux qui a réussi contre vent et marée, d’un Prussien qui a trouvé le moyen de faire tout à la fois de grandes choses et de très bonnes affaires. Tenir dans son sac cinq provinces et vingt et un confédérés, petits ou grands, cela vous allège un homme ; il se sent comme porté par son fardeau.
M. de Bismarck chanta devant le Reichstag tous les airs, prit tous les tons. Il disait aux récalcitrans : « Mon Dieu, notre œuvre n’est pas parfaite, la perfection n’est pas de ce monde. Nous ne nous flattons point d’avoir découvert la pierre philosophale ni résolu la quadrature du cercle ; mais je vous mets au défi de faire mieux. » Et ceci encore : « Ce que vous nous proposez peut être excellent, et quant à moi vous savez que je n’ai pas de préjugés ; mais je ne suis pas seul. Nous étions vingt-deux à travailler ; l’un voulait ceci, l’autre cela. Nos confédérés ne sont pas gens commodes ni faciles à convaincre, j’en sais quelque chose, et nous leur devons des égards. » Il ajoutait : « Messieurs, ne vous arrêtez pas à des minuties, à des pointilleries. Travaillons vite, hâtons-nous, l’Europe nous regarde. L’essentiel est de mettre l’Allemagne en selle ; bien ou mal assise, une fois le pied dans l’étrier, elle galopera. » Si l’on s’entêtait, si l’on se défendait, il le prenait de plus haut, et posant la question de cabinet : « Vous estimez que je vous suis nécessaire, que sans moi l’Allemagne ne se fera pas ; il m’est permis de vous faire mes conditions. Si vous m’en imposiez de telles que le gouvernement me devînt impossible, je renoncerais à gouverner. Je prierais ceux qui nous veulent mener au chaos de nous en tirer et d’y trouver leur chemin. » Il lui arriva même de rencontrer des accens du plus haut pathétique, une éloquence qui semblait n’être point dans ses cordes. À bout d’argumens, il recourut à cette figure qui se nomme l’apostrophe, laquelle, au dire de Paul-Louis Courier, est la mitraille du discours. Oui, M. de Bismarck eut un jour un mouvement à la Démosthènes, il attesta les guerriers morts à Marathon ou à Sadowa. « Messieurs, vous n’êtes pas à la hauteur de la situation, répliqua-t-il aux libéraux, qui s’obstinaient à introduire dans