Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

projet l’article que voici : le pouvoir exécutif appartient au roi de Prusse, qui l’exerce par l’entremise d’un conseil de ministres responsables. — M. de Bismarck avait sa réponse prête. Aux conservateurs qui, à l’instar d’Oldenbourg, demandaient l’établissement d’une chambre haute, il avait répliqué : Mais vous l’avez déjà, cette chambre haute ; c’est le Bundesrath. Aux libéraux qui demandaient un ministère responsable, il ripostait : Un ministère ? Vous en avez un, c’est le Bundesrath, dont les commissions permanentes sont autant de ministres impersonnels. — En vérité, le Bundesrath est le maître Jacques de la confédération ; selon qu’il ôte ou qu’il met sa casaque, il est ceci ou cela.

— Soit, reprenaient les libéraux. Le Bundesrath est, si vous le voulez, une collection de ministères ; mais ces ministres ne sont pas responsables, et ce n’est pas notre affaire. Aussi bien de quoi répondraient-ils ? De leur signature ? ils ne signent rien. Ces entités politiques ne sont pas des personnes, n’ont pas de visage, et c’est à peine si elles ont un nom. — J’en conviens, répliquait M. de Bismarck, mais que voulez-vous ? Est-il rigoureusement nécessaire qu’un ministre soit responsable ? — Et il recourait à des argumens qu’il a répétés le 16 avril 1869, sous une forme plus heureuse encore et plus piquante, en réfutant M. Twesten et le comte de Munster, qui avaient essayé sans plus de succès de remettre sur le tapis cette grosse question. — Vous alléguez, leur disait-il, que ma responsabilité est trop étendue pour être effective. Croyez-vous par hasard qu’il y ait au monde un seul ministre qui soit au fait de tout ce qui se passe dans son département ? J’estimerais bien heureux et bien inoccupé celui qui aurait le temps de lire le quart des pièces qu’il doit signer. Gardez vos ministères collectifs. Quant à moi, ne me prenez pas pour un ministre. Je suis le fondé de pouvoir de la présidence, et en cette qualité je signe ; aussi je réponds de tout. — Après cela, il alléguait que ce ministère responsable nommé par le président serait une atteinte portée aux prérogatives du Bundesrath, un acheminement à l’unitarisme, et il plaidait chaleureusement la cause des états confédérés, rappelant qu’on était lié avec eux par des traités dont on devait respecter l’esprit et la lettre. Et le télégraphe s’empressait d’annoncer à l’Europe que le chancelier fédéral était un chaud partisan du principe fédératif, qu’il était prêt à le défendre de la griffe et du bée contre les empiétemens des unitaires prussiens. Le télégraphe aurait dû ajouter que, l’instant d’après, M. de Bismarck avait laissé voir ses cartes, donné ses vraies raisons. — Messieurs, quiconque a été dans un ministère ou s’est trouvé à la tête d’un conseil de ministres et a dû prendre des résolutions sous sa propre responsabilité ne craint point cette