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responsabilité, mais il redoute la tâche de persuader à sept personnes qu’il a raison de vouloir ce qu’il veut. C’est un bien autre labeur que celui de gouverner un état. Tous les membres d’un conseil de ministres ont leurs fermes et loyales convictions ; chacun d’eux est entouré d’une nuée de conseillers, qui de même ont leurs convictions, et le président du conseil, s’il en a le temps, doit se donner la peine de convaincre chacun de ces conseillers, qui ont l’oreille de chacun de ses collègues. Quel métier ! — Puis, se découvrant tout à fait : — Non, vous ne me rendriez point ma besogne plus facile en m’adjoignant un conseil de ministres, et, si vous voulez trouver un chancelier qui consente à accepter des collègues, cherchez ailleurs. Je me fonde sur mon droit constitutionnel. J’ai accepté l’office tel qu’il est défini dans la constitution. Le jour où j’aurais un collègue, ce collègue serait mon successeur. — Voilà qui s’appelle combattre la visière levée et laisser voir dans ses yeux et dans son cœur. Ces aveux hautains, cette candeur superbe de M. de Bismarck orateur parlementaire, font un singulier contraste avec ses tortuosités diplomatiques. Il y a en lui « du divers et de l’ondoyant, » une âme étoffée qui varie ses attitudes, et il faut convenir que cet homme est plus qu’un personnage, que c’est une figure.

Sur un autre point d’égale importance, les revendications des libéraux ne furent pas plus heureuses. La seule garantie efficace que pût posséder le Reichstag était le vote annuel du budget militaire. On ne le savait que trop en haut lieu, et le projet y avait pourvu par de prévoyantes dispositions, qu’une volonté souveraine protégeait contre les réclamations des mécontens. En tout ce qui regarde son armée, la royauté prussienne a les jalousies, l’âpre inquiétude d’un propriétaire qui ne saurait admettre qu’on touche à son bien. D’une part, on avait fixé le chiffre de présence en temps de paix à un pour cent de la population ; d’autre part, on avait stipulé que les états confédérés verseraient annuellement dans la caisse présidentielle 225 thalers par tête de soldat sous les drapeaux. On déterminait ainsi une fois pour toutes et l’effectif et la dépense : hommes, argent, le budget militaire tout entier était réglé d’avance, et ne devait être porté que pour la forme à la connaissance du parlement. Cette fois les libéraux s’insurgèrent ; ils se plaignirent que leurs maîtres passaient la mesure, qu’on les traitait à la turque, qu’après toutes les concessions qu’ils avaient faites, c’était abuser d’eux, les travestir en personnages de comédie. Cependant leurs prétentions étaient modestes, ils ne demandaient qu’à partager le différend. Ils acceptaient les dispositions du projet comme un provisoire et renonçaient à leur droit de budget jusqu’au 31 décembre 1871. Passé ce terme, ils entendaient rentrer en possession. Leur amendement fut