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Le plus grand défaut de cette constitution, c’est qu’elle repose sur des consentemens tacites qu’un homme seul pouvait obtenir, que seul il peut imposer. Croit-on, par exemple, que le ministère prussien consentirait à se laisser médiatiser par un autre chancelier que M. de Bismarck ? Croit-on que le roi Guillaume… Qu’allons-nous dire ? En vérité, nous côtoyons des abîmes. M. de Bismarck déclarait, en 1869, au Reichstag, que le chancelier n’était qu’un agent de la présidence chargé de répondre de tous ses actes, et pourtant il préside le Bundesrath, où le président de la confédération, en sa qualité de roi de Prusse, a 17 voix sur 43. Le roi Guillaume ne représente qu’une fraction de ce grand conseil des gouvernemens, le chancelier représente ce conseil tout entier. Depuis quand la partie est-elle plus grande que le tout ? Dans cette même séance, il vint à M. de Bismarck une idée étrange. Se rappelant l’ancienne constitution des Provinces-Unies, il s’avisa de dire : « Messieurs, mes souvenirs ne sont pas assez précis pour que je puisse vous expliquer le mécanisme de cette institution, qui a une si grande analogie avec la nôtre. Je ne sais pas au juste si le chancelier des Provinces-Unies, qui portait le nom de grand-pensionnaire, était environné d’un conseil de ministres, ou s’il n’avait à ses côtés que la maison d’Orange, je veux dire le généralissime ou le stathouder chargé du département de la guerre. » Un stathouder ! un grand-pensionnaire ! deux statues sur deux piédestaux ! Périlleux rapprochement ! Un tel breuvage ne semblerait-il pas trop amer au roi Guillaume, si les mains qui le lui présentent n’avaient commencé au préalable par lui donner cinq provinces ? Il est vrai que la chancellerie a des charges que ne surpassent point ses honneurs. Qui porterait ce fardeau, si les épaules fatiguées de M. de Bismarck le refusaient ? Sans compter le reste, il a deux parlemens, quatre chambres à gouverner, et des chambres chicaneuses : qui ne peut faire la grande guerre fait la guerre de chicane. Sans contredit, l’idée est ingénieuse de multiplier les parlemens pour les affaiblir les uns par les autres ; encore faut-il leur parler, à ces parlemens, comme si on les prenait au sérieux. Que de forces dépensées en explications ! La constitution devrait stipuler que non-seulement le chancelier est tenu d’être un homme de génie, mais que cet homme de génie est tenu de se porter toujours bien. Hélas ! M. de Bismarck s’est usé à sa tâche, il n’a plus qu’une santé intermittente, et, dès qu’il se permet d’être malade, il y a crise. Il a été obligé de se démettre provisoirement de la présidence du conseil des ministres. Le moyen de le remplacer ? Si cette démission devenait définitive, les affaires étrangères ayant passé à la confédération, M. de Bismarck ne serait plus rien dans le ministère prussien, lequel donne les