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orné d’une queue de renard, qui, sur sa tête, pouvait passer pour un emblème, paraissait charmé que le soin de nous conduire l’éloignât du théâtre de la guerre. Il grossissait notre importance pour augmenter la sienne, et aussi, je l’ai dit, dans l’espoir que les bons traitemens qu’il nous valait lui profiteraient à lui-même. Stimulé par lui, un globule bleu qui résidait à Talan nous accable de prévenances, de visites gracieuses et de quartiers de porc. Le jour de notre départ, ce fonctionnaire nous devance à notre insu, et nous le rencontrons, non sans surprise, à cinq cents pas du village, assis au milieu d’un champ sur un fauteuil rouge et entouré de sa garde. Il se lève à notre approche, nous salue et nous fait brûler de la poudre aux oreilles. Tant d’honneurs nous gonflaient ; nous rougissions de notre misère, honteux de ne pouvoir reconnaître ces nobles procédés que par l’offre d’un mirliton ou d’une petite cuillère en ruolz.

A mesure que nous avançons vers l’est, les plaies faites au pays par la guerre semblent devenir moins profondes. Les ruines sont plus rares, les cultures le disputent aux bois de pins. Les villages apparaissent de nouveau à toutes les hauteurs, mais avec des tons plus gris, moins éclatans que ceux des villages chinois proprement dits. Ils sont peuplés de montagnards qui rappellent, par plusieurs parties de leurs costumes, certains indigènes de la frontière septentrionale du Laos, dont ils semblent se rapprocher également par les traits généraux du visage. La population du Yunan se compose d’ailleurs d’élémens si nombreux, si différens et si mobiles, qu’elle échappe à l’analyse. Il faudrait, pour s’en rendre bien compte, séjourner longtemps dans cette province, la plus intéressante peut-être de tout l’empire, et faire des mœurs et du langage des diverses tribus dites sauvages, l’objet spécial de ses études. Telle ne saurait être ma prétention. Je vais me borner, afin de n’avoir plus à revenir sur ce sujet, à mettre en ordre les notes que j’ai pu recueillir en passant.

Le Yunan est une des dernières provinces qui ait été rattachée à l’unité chinoise. Dans le IIIe siècle avant Jésus-Christ, époque que l’on peut appeler récente, puisque le grand empire avait déjà deux mille ans d’existence historique, cette contrée, divisée entre plusieurs souverains indépendans qui n’étaient autre chose que des chefs de tribus, était comprise sous la dénomination générale et vague de pays des barbares de l’ouest, et se trouvait au-delà des frontières de la Chine, qui, sous les Tsin, ne dépassaient pas du côté du nord-ouest le fleuve Leao-ho. Les premiers empereurs de la dynastie des Han diminuèrent encore l’étendue de leur territoire, et, sur la’partie de leur domaine qu’ils abandonnaient, se fonda le royaume de Tchao-sien, où les Chinois, dans les temps difficiles,