Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/376

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ordre du monde s’évanouissent à sa voix, rien ne lui interdisait de penser que Dieu manifestât la puissance de sa grâce par des effets extraordinaires, et que l’inspiration régénératrice, en faisant dans l’âme une irruption subite, troublât l’organisme tout entier ; mais les railleurs et les doctes n’en jugeaient pas de même. Ces ébranlemens nerveux sont encore regardés comme des momeries, témoin le nom de momiers donné encore aujourd’hui aux méthodistes de la Suisse. Les plus indulgens dans le clergé voyaient dans ces manifestations, si elles n’étaient pas jouées, les signes d’un grossier fanatisme. Les orthodoxes ont leur incrédulité comme les philosophes, et ce qui dérange la foi n’est pas mieux accueilli que ce qui embarrasse la science. Wesley eut à répondre aux doutes ou plutôt aux reproches de son frère Samuel, qui n’approuvait ni ses idées ni ses actes, et nous avons encore la lettre où il lui affirme les faits significatifs qu’il a vus de ses yeux. En sa présence, des personnes ont passé instantanément du désespoir à l’espérance, de la terreur à la joie. Ces transitions de la puissance de Satan à la puissance de Dieu se sont accomplies quelquefois dans le sommeil, quelquefois par l’effet d’une vive représentation aux yeux de l’esprit du Sauveur sur la croix ou dans sa gloire. Et ces brusques changemens ne sont pas seulement attestés par des pleurs, des soupirs et des gémissemens, ils le sont par une vie nouvelle, un durable amendement ; des lions sont devenus des agneaux. Il faut traiter Wesley de faux témoin ou reconnaître là l’ouvrage de Dieu. Les dons du Saint-Esprit ne sont pas des visions.

Il est certain du moins que ces effets à la fois naturels et exceptionnels d’une prédication populaire peuvent être l’accompagnement de conversions sérieuses, et celles que Wesley voyait s’effectuer le comblaient de joie, tout en soulevant de plus en plus contre lui un clergé et un public hostiles. Chaque jour il rencontrait de nouvelles difficultés. Jusque-là il avait marché d’accord avec les moraves ; à Londres surtout, les procédés, les exemples, les exhortations étaient les mêmes ; mais bientôt des frères venus d’Allemagne introduisirent une doctrine qui, exagérant encore le dogme de la justification, en venait à soutenir que la foi parfaite dispense des œuvres de la loi, non plus seulement judaïque, mais morale, les tient pour néant puisqu’elles sont nécessairement impures, et abolit ainsi tous les devoirs, celui même de prier et de lire l’Écriture. C’est ce qu’ils appelaient la doctrine de la vraie tranquillité, c’était chez des protestans l’antinomianisme et le quiétisme chez des catholiques. Wesley, qui cependant faisait grand cas de Mme Guyon, craignit pour ses disciples la contagion de ces dangereuses erreurs. Il se rendit à une des grandes réunions de moraves et leur signifia une rupture