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de la transfusion, sont, comme la circulation du sang elle-même, des résultats tout à fait modernes. Dans l’antiquité, la croyance générale était que la vie réside dans le sang, et cependant quelques anciens ont eu comme le pressentiment que les élémens de l’organisme vivent par eux-mêmes, et peut-être que le sang a un mouvement circulaire. Chose singulière, ce sont les poètes qui, contre l’ordinaire, ont le plus approché de la vérité. — Dans le septième livre des Métamorphoses, Ovide raconte avec détails le rajeunissement du vieil Éson. Médée, qui avait appris de sa mère la secrète vertu des plantes, fabriqua un de ces breuvages merveilleux dont la composition bizarre prouve au moins l’imagination du poète. Rien de plus complexe que ce produit : il renfermait des racines cueillies dans les vallées de la Thessalie, la chair et les ailes d’une chouette, le foie d’un vieux cerf, la tête et le bec d’une corneille qui avait vécu neuf cents ans, etc. Médée ouvre la gorge du vieil Éson, fait sortir le sang de ses veines, et lui substitue la liqueur qu’elle venait de préparer. Nous n’insisterons pas sur la singularité de ce mélange, qui nous rappelle la polypharmacie du moyen âge. — Les conseils que Médée donne aux filles de Pélias offrent plus d’intérêt. « Brandissez votre épée, leur dit-elle, aspirez ce sang vieilli, et je remplirai d’un sang jeune l’intérieur de ses veines. » Ce passage a exercé le talent des commentateurs les plus autorisés. Pline et Élien n’y ont point vu la preuve de la transfusion du sang ; ils n’y virent qu’une simple allégorie. Il est difficile d’admettre en effet l’existence de la transfusion à une époque où l’on ne connaissait pas le circuit du sang.

Lucrèce et Virgile sont plus explicites, et l’on pourrait croire qu’ils ont entrevu la théorie des activités individuelles de l’organisme. Dans le milieu de son troisième chant, l’auteur du poème de la Nature exprime cette idée, que la vie réside à la fois dans toutes les parties du corps. Ici, il montre les tronçons du serpent s’agitant d’une manière isolée ; il semble, dit-il, qu’il y ait dans tous ces fragmens autant de vies individuelles tout entières (animas totas) ; plus loin, il met devant les yeux un membre séparé du corps, ce membre palpite encore, et la vie s’y traduit par une convulsion fibrillaire. Il décrit ailleurs les phénomènes que l’on observe sur une tête détachée d’un tronc encore chaud, les mouvements de la physionomie, et la disparition successive des manifestations vitales. — Dans le dixième livre de l’Enéide, le héros Laride est ainsi interpellé : « Et toi, ta main coupée te cherche, tes doigts à demi morts jettent un reflet brillant, et se crispent sur ton épée. » En effet, ces doigts sont bien à demi morts, car ils ont encore la vie individuelle, mais ne participent plus à la vie collective ; ils brillent