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SUZANNE DESCHARMES

I.

Le domaine du Ghâtellier, habité par le docteur Descharmes, était certainement un des coins les plus intimes et les plus pittoresques de la vallée du Brignon. Ce vieux manoir tourangeau avait été fort endommagé au temps des guerres de religion ; mais son corps de logis, flanqué de tourelles, ses épaisses murailles, couvertes de lierre, et ses larges douves, transformées en jardin potager, lui donnaient encore un grand air. Les douves étaient ombragées de hauts peupliers d’Italie, et tout autour, en demi-cercle, des chaumières délabrées bordaient une route assez mal entretenue, conduisant au bourg de Paulmy, dont on apercevait entre les arbres le clocher d’ardoise et les premières maisons. Les pauvres du pays connaissaient bien ce chemin, et la grande porte toujours ouverte du Ghâtellier voyait plus d’un client arriver, triste et dépenaillé, sous son porche de tuiles moussues et s’en retourner consolé. Malheureusement cette clientèle logeait le diable dans sa bourse, et, bien qu’elle s’accrût de jour en jour, le coffre-fort du docteur ne s’en ressentait guère. M. Descharmes du reste ne paraissait pas s’en émouvoir ; il avait toujours l’accueil affable, la mine souriante : aussi ses amis l’avaient-ils surnommé le docteur Tant-Mieux. C’était d’ordinaire un joyeux compagnon, au visage plein et rosé, éclairé par deux yeux bleus à fleur de tête, deux yeux aux regards mobiles, pétillans, enfantins. Ses lèvres rubicondes, ses dents blanches, son front large et candide, surmonté d’une forêt de cheveux à peine grisonnans, annonçaient une santé parfaite et un grand fonds de bonne humeur. Tout le pays vantait son entrain, ses allures vives,