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les cas ce n’est pas à son début, avant d’avoir eu le temps de préparer avec maturité une réforme électorale devenue nécessaire, qu’un cabinet peut jouer cette partie d’une dissolution précipitée. Il n’y a qu’un cas où cette mesure s’expliquerait et pourrait être hâtée : ce serait si l’ancienne majorité retrouvait assez de force pour opposer une résistance ouverte à la marche libérale de la politique, ou bien si le fractionnement des partis mettait dans la chambre une telle incohérence que tout gouvernement devînt impossible. Alors, ce n’est plus douteux, il faudrait bien y arriver. Qu’on remarque d’ailleurs que pour le moment tout tient à l’attitude que prendra cette fraction de l’ancienne majorité qui s’appelle aujourd’hui la droite. Elle peut aider le gouvernement, comme aussi elle peut aller d’elle-même au-devant d’une nouvelle ordonnance du 5 septembre, et les élections ne lui seraient peut-être pas plus favorables qu’elles ne le furent aux introuvables de 1816. Elle y réfléchira avant de tenter l’aventure.

Rien n’est donc plus clair aujourd’hui, — parlement et cabinet, s’ils ne veulent point se détruire mutuellement, ont un égal intérêt à marcher d’un même pas dans la voie qui vient de s’ouvrir, et pour que cela s’accomplisse, la condition première, c’est que le ministère, sans se laisser atteindre par ce travail de dissolution qui naît des dissidences secondaires, se mette résolument à l’œuvre qu’il a entreprise de refaire une situation fondée tout à la fois, comme il l’a dit, sur « la liberté sans révolution, et sur le progrès sans violence. » Le cabinet du 2 janvier ne compte encore au surplus que quelques jours d’existence, et il a eu tout d’abord à s’organiser, à chercher des auxiliaires en appelant à lui des hommes nouveaux ; il n’y a rien en cela dont on puisse le blâmer. Dans notre pays de démocratie et de routine, dès qu’il y a un de ces mouvemens de personnel politique, il y a aussitôt un sentiment qui ressemble à de l’envie ou à une prévention invétérée contre tout ce qui est nouveau. Quoi de plus simple cependant que M. Émile Ollivier, arrivant au ministère de la justice, associe à ses travaux comme secrétaire-général un homme qui s’est attaché à sa fortune politique depuis plus de dix ans, qui partage ses idées, et qui est aussi distingué par l’instruction que par le caractère, M. Ad. Philis ? M. Segris, à son tour, vient de placer au secrétariat-général de son ministère M. Saint-René Taillandier, qui succède à un intelligent administrateur, M. de Guigné, et sans parler du talent de notre collaborateur, qu’on connaît assez, le nouveau ministre de l’instruction publique ne pouvait choisir un homme d’un esprit plus sérieux, plus droit, représentant mieux l’université dans ce qu’elle a d’indépendant et d’élevé. M. Daru garde comme chef de cabinet aux affaires étrangères un jeune et habile diplomate, M. le comte Armand, et si dans le service extérieur de la France des changemens se font, ils seront faits à coup sûr avec maturité. Ce n’est pas dans ce