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n’eussions peut-être pas prononcés, mais qu’il est toujours permis de traduire. « Les préliminaires de la catastrophe du 13 mars 1861, écrit M. Paul Lindau, datent d’un bal de cour où la princesse Metternich, causant avec une auguste personne, se plaignit de l’indifférence qu’on témoignait en France à l’égard des grands artistes étrangers, et mit à plaider sa cause tant de vivacité que l’empereur, s’approchant, voulut savoir de quoi il s’agissait. Ce fut alors que l’aimable princesse lui raconta que Paris possédait en ce moment le plus beau génie musical de l’Allemagne contemporaine, auquel il ne manquait qu’un peu de protection pour sortir de l’obscurité où il végétait et rayonner sur le monde en pleine gloire. — Ce que femme veut, Dieu le veut, — et je laisse à penser ce que dut être la force de persuasion de la spirituelle ambassadrice, qui, sancta simplicitas ! croyait au génie de Wagner au point de voir en lui non-seulement toutes les espérances de l’avenir, mais toutes les délices du présent. Le lendemain, M. Royer, administrateur de l’Opéra, était mandé au ministère et recevait l’ordre impérial de mettre à l’étude la partition de Tannhäuser. »

Bien des gens se demanderont peut-être s’il n’eût pas mieux valu qu’un tel acte d’autorité discrétionnaire se fût exercé en faveur d’un compositeur français ; mais ces gens-là sont des esprits chagrins et bornés qui ne comprennent pas que le monde est une féerie où le caprice et le hasard gouvernent tout. « Ici commence le chapitre des infortunes et tribulations. Ajoutons tout de suite que Wagner ne doit s’en prendre qu’à lui-même des nombreuses mésaventures qui l’ont assailli à Paris. Son humeur insupportable, ses prétentions et son arrogance lui ont assurément fait plus d’ennemis encore que sa musique. » Il ennuyait le monde entier, et le monde se vengeait en multipliant autour de lui les agacemens. Il en voulait aux journalistes à cause de leur indifférence à l’endroit de ses concerts, à l’administration de l’Opéra, qui lui demandait des airs de ballet, à ses traducteurs, qu’il trouvait détestables, au mauvais temps, à son propriétaire avec lequel il était en procès. Les répétitions le mettaient hors de lui, l’orchestre ne comprenait rien à sa musique, les chanteurs allaient à la diable, et les chœurs, toujours à côté, croyaient chanter faux quand ils chantaient juste, et, voulant se remettre au ton, arrivaient alors à chanter vraiment faux, « ce qui n’est qu’ordinaire dans l’exécution d’un opéra de Wagner. » Du reste, sa position à Paris n’avait jamais cessé d’être anormale ; trop humble au début, il s’était, dès le lendemain de sa faveur, haussé sur un piédestal. « Étranger à la vie parisienne, il devenait tout naturel que Paris, à son tour, le traitât en étranger, et cette situation à part adoptée, recherchée par lui, créait d’avance à son œuvre une destinée exceptionnelle. Il fallait réussir avec effraction ou tomber lourdement, et ne compter en tout cas ni sur des politesses ni sur un succès d’estime. Austerlitz ou