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REVUE. — CHRONIQUE.

la cantatrice. Il y faut du timbre, de la justesse, beaucoup de simplicité et aussi beaucoup d’art. Mme Carvalho s’y montre incomparable, en revanche Mlle Nilsson n’y produit qu’un assez médiocre effet. Disons tout de suite que Mlle Marie Roze s’en est tirée assez à son avantage. Au second acte, même demi-succès, dû encore aux dispositions tout indulgentes de la salle, et qu’un rappel maladroit a failli compromettre. Nous cherchons quelle part on pourrait bien faire à l’éloge, et restons court. Mlle Marie Roze n’a rien oublié ni rien appris, elle est à l’Opéra ce qu’elle fut à l’Opéra-Comique, la voix est lourde, plombée, chaque note pèse un poids de dix livres comme ce fameux cierge des pénitens de M. Victor Hugo. Et cette respiration toujours laborieuse, oppressée, se peut-il que M. Wartel n’en ait pas corrigé les défauts ? Nous ne parlerons pas de l’air des bijoux, que ses gammes et ses trilles rendaient inabordable en cette circonstance ; mais le duo d’amour avec Faust aurait pu être mieux dit, et si l’effet a complètement manqué, tout le démérite en revient à la débutante, dont les invités de M. Bosquin, fort à son avantage dans ce rôle, n’ont pu vaincre la froideur et la nonchalance. Quant à la scène de l’église, à celle de la prison, c’eût été une belle occasion pour la cantatrice dramatique de se montrer et de mettre enfin le public dans la confidence de cette voix de rechange due à ses nouvelles études. Là, comme ailleurs, Mlle Marie Roze a gardé son secret. Alors pourquoi venir à l’Opéra ? Pur caprice de jolie femme. Elle s’ennuyait à l’Opéra-Comique, la nostalgie des grandeurs l’a entreprise, et il a fallu que cette fantaisie fût satisfaite. De tous les rôles du répertoire, il n’en est pas de plus facile à chanter passablement que celui de Marguerite, surtout lorsqu’un professeur tel que M. Wartel consent à vous le faire épeler pendant plusieurs mois. L’épreuve aurait donc pu mieux réussir, quoique, somme toute, elle n’ait tourné à la confusion de personne. Les flatteurs de Mlle Marie Roze peuvent continuer à lui dire qu’elle est en train de devenir une Falcon, et l’administration de l’Opéra n’a de son côté qu’à se féliciter de s’être attaché une pareille coryphée. Ajoutons qu’il serait opportun maintenant de songer à Mlle Devéria. La Roxane des Turcs aux Folies-Dramatiques n’est peut-être pas tout à fait si jolie, mais en revanche elle chante mieux.

Que d’effets dramatiques perdus dans ces deux admirables scènes de l’église et de la prison, et qui seraient de véritables sujets d’étude, si nos cantatrices, au lieu de s’en tenir à la littérature frelatée des librettistes et à cette inspiration musicale de seconde main, voulaient bien prendre la peine de remonter à la maîtresse-source, au poème. Goethe, dans tout ce qu’il faisait, se préoccupait du geste, de la pantomime ; le sentiment de l’harmonie, plastique ne l’abandonnait jamais. En voyant cette charmante Marie Roze jouer cela tout machinalement, comme on répète une leçon apprise, sans avoir l’air de se douter de l’immense