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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

évêques en mains propres au prince auquel elles sont adressées. » Patricius eut beau insister fortement, il n’obtint rien ; d’autres revinrent à la charge, et la réponse fut toujours la même. On s’arrêtait devant la noble fermeté des ambassadeurs, lorsqu’un certain Valérianus de Cappadoce, tribun d’une cohorte militaire, se fit fort d’obtenir à tout prix ces papiers. Un jour donc qu’ayant renouvelé la même demande, il éprouvait le même refus, il se jeta sur l’évêque Marianus, qui tenait ployées dans son poing les lettres destinées à l’empereur, et ne les lui arracha qu’en lui rompant le pouce.

Le lendemain, des affidés de la cour se présentèrent dans la prison, offrant aux ambassadeurs trois mille pièces d’or, s’ils consentaient à communiquer avec l’intrus successeur de l’archevêque Jean et à se taire sur la condamnation de celui-ci. Le piége était habile, car il tendait à transformer en une ambassade de congratulation pour l’heureuse issue des querelles de l’église d’Orient une ambassade formée au contraire en vue de réprouver tout ce qui s’était fait et de demander justice pour Chrysostome. Ils repoussèrent cette proposition avec horreur. Ce fut pour eux une occasion d’apprendre la mort d’Arsace et son remplacement par Atticus sur le siége de Constantinople ; quant à ce que devenait Chrysostome, ils n’en purent obtenir un mot. Indignés des violences qu’ils étaient forcés de subir et ne voyant aucun espoir de succès pour leur mission, ils supplièrent instamment qu’on les laissât partir et retourner sains et saufs dans leurs églises. Comme la réponse à cette prière tardait plus que de mesure, ils se demandaient avec inquiétude ce qui adviendrait d’eux, et cette crainte les agitait jusque dans leur sommeil. Un matin, le diacre Paul, attaché à l’évêque Émilius, homme doux et prudent, nous dit le narrateur contemporain, se réveilla joyeux en s’écriant qu’il avait eu une révélation : l’apôtre Paul, son patron, lui était apparu en songe monté sur une barque et lui avait répété ce verset d’une de ses épîtres : « prenez garde à la manière dont vous marchez ; n’allez pas comme des fous, mais comme des sages, car vous voyez que les jours sont mauvais. » Ce récit rendit confiance aux prisonniers, qui retrouvèrent dans les paroles de l’apôtre une allusion à la prudence qui leur avait fait éviter jusqu’alors tant de piéges, et ils s’en remirent à la volonté de Dieu.

Ce même tribun Valérianus qui avait brisé le pouce d’un des ambassadeurs vint leur apprendre enfin qu’ils allaient être rendus à la liberté, et, avec autant de grossièreté que si on les expulsait d’Athyras, il les poussa vers un navire qui devait les recevoir, ainsi qu’une escorte de vingt soldats, comme s’ils eussent été des criminels redoutables. — Ce vaisseau était vieux, presque désagrégé, et