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Gall, on exploite depuis quarante ans des lignites ou bois fossiles qui reposent sur un lit de cailloux erratiques rayés, appartenant à la première époque glaciaire[1]. Ces lignites sont le produit d’arbres dont les troncs, le plus souvent couchés, quelquefois encore debout, ont laissé dans les strates immédiatement supérieures de nombreuses empreintes de feuilles et de fruits; elles ont permis de reconnaîtra le pin d’Ecosse, celui des montagnes, le sapin rouge, le mélèze, l’if, le bouleau, le chêne, l’érable faux-platane, le noisetier et plusieurs plantes aquatiques que l’on rencontre encore dans les marais de la plaine suisse. Ainsi donc, après le retrait des grands glaciers qui avaient recouvert non-seulement la Suisse, mais encore les parties avoisinantes de l’Allemagne, de la France et de l’Italie, les forêts helvétiques étaient formées d’essences identiques à celles qui les composent actuellement. Ces forêts marécageuses servaient de repaire à de grands mammifères effacés aujourd’hui de la liste des êtres vivans : c’étaient des éléphans, des rhinocéros, des bœufs gigantesques, le grand ours des cavernes, espèces différentes de celles que nous connaissons, mais génériquement analogues aux représentans actuels de ces formes animales. La forêt sous-marine de Crommer, sur la côte de Norfolk, nous prouve qu’à la même époque la végétation arborescente de l’Angleterre était peu différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Ainsi la flore vivante qui nous entoure a occupé le sol après le retrait des premiers glaciers. Quelques espèces remontent plus haut dans l’échelle géologique des terrains, elles datent de l’époque miocène, c’est-à-dire du milieu même de l’époque tertiaire. Pour les autres, nous nous heurtons à l’une des plus grosses questions de l’histoire naturelle, l’immutabilité des espèces. Généralement admise autrefois, cette doctrine est aujourd’hui fort ébranlée. Pour les naturalistes qui en sont encore partisans, la flore actuelle ne remonterait pas au-delà de la première époque glaciaire, car nous ne trouvons dans les terrains tertiaires qu’un petit nombre de plantes identiques à celles qui nous entourent; mais nous y rencontrons des formes tellement voisines, tellement semblables, qu’elles en diffèrent moins que la plupart des variétés de nos arbres à fruits ne diffèrent les unes des autres. Pour nous et pour la plupart des savans de la nouvelle école, ces espèces tertiaires sont les ancêtres de nos espèces vivantes, modifiées par les changemens physiques et climatériques dont la surface du globe a été le théâtre depuis le dépôt des terrains miocènes[2]. En effet, si la végétation qui a suivi immédiatement l’époque glaciaire accuse

  1. Voyez la Revue du 1er février et du 1er mars 1867.
  2. Voyez la remarquable étude de M. de Saporta, l’École transformiste et ses derniers travaux, dans la Revue du 1er octobre 1869.