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LES MIGRATIONS VÉGÉTALES.

en Europe, comme en Amérique, un climat plus froid que le nôtre, celle des terrains tertiaires trahit au contraire un climat plus chaud. Ainsi à cette époque le Spitzberg, l’Islande, le Groenland et l’Amérique boréale étaient couverts de vastes forêts composées de cyprès chauve, de taxodium, de pins laricio, de sequoia, de gingko, de planera, de diospyros. À cette même époque, — les plantes et les animaux fossiles sont d’accord pour le prouver, — le climat du Lyonnais, de la Bohême, de la Styrie, ne différait guère de celui des bords septentrionaux de la Méditerranée. La végétation de l’Europe moyenne était celle de pays plus rapprochés de l’équateur. La flore de la Suisse, que les derniers soulèvemens n’avaient pas encore élevée au-dessus du niveau de la mer miocène, présentait une physionomie subtropicale analogue à celle qui domine actuellement en Virginie, dans les deux Carolines, la Floride et la Géorgie. Les grands végétaux de la Provence et du Languedoc avaient beaucoup d’analogie avec ceux des Canaries. En un mot, l’hémisphère boréal était généralement plus chaud qu’il ne l’est aujourd’hui. Ainsi les espèces miocènes encore vivantes ont dû, avant d’arriver jusqu’à nous, traverser les deux époques glaciaires. Un petit nombre seulement ont survécu ; elles se sont maintenues dans les zones méridionales et, plus au nord, dans certaines localités privilégiées où le froid n’a pas été assez intense pour les tuer. Les climats s’étant adoucis après la seconde époque glaciaire, leur existence était désormais assurée ; mais comment supposer qu’après ces épreuves séculaires aucun changement ne se soit opéré dans leurs formes extérieures ? Ce serait admettre que des êtres vivans, sensibles à toutes les variations atmosphériques, ont une rigidité, une fixité qui fait défaut aux corps les plus réfractaires du règne minéral.

Même alors qu’une plante n’a pas encore été découverte à l’état fossile, le botaniste peut présumer d’après ses caractères et ses affinités taxonomiques qu’elle ne fait pas partie de la flore actuelle, mais que son origine remonte plus ou moins haut dans la série des terrains tertiaires ; il est en droit de le soupçonner lorsque cette plante appartient à un type exotique, présente des anomalies dans sa végétation et se distingue par sa rareté. Nous ne possédons en Europe qu’un seul palmier, le palmier nain[1]. On le trouve en Espagne, en Italie, en Corse, en Sardaigne, aux Baléares, en Grèce et en Algérie. Il existait même au commencement du siècle près de Nice, mais il a disparu depuis, détruit par le zèle intempérant des botanistes collectionneurs. Un palmier, un seul palmier en Europe, n’est-ce pas une anomalie ? L’Amérique et l’Asie tropicales sont la

  1. Chamœrops humilis.