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vraie patrie de cette forme végétale. Un palmier en France est pour le botaniste philosophe un sujet d’étonnement aussi grand que le serait pour l’anthropologiste la rencontre d’une famille nègre ou mongole établie dans un village du centre de la France. Il est donc probable qu’on trouvera le palmier nain à l’état fossile dans les couches tertiaires, où l’on a déjà trouvé les restes d’autres palmiers qui n’ont pas survécu comme celui-ci aux vicissitudes climatériques. On pouvait présumer d’avance que le laurier d’Apollon, le laurier-rose[1], le grenadier, l’arbre de Judée[2], étaient des types paléontologiques, et ils ont en effet été retrouvés à l’état fossile dans les tufs de diverses contrées. En effet, ces végétaux sont en Europe les seuls représentans de groupes naturels dont tous les autres membres sont exotiques. On peut prédire hardiment que le myrte, le styrax officinal, le bois puant[3], le caroubier[4], qui appartiennent à des groupes naturels, composés uniquement d’espèces exotiques, seront un jour découverts dans les formations les plus récentes du globe.

D’autres contrées nous offrent des exemples semblables. Sur les parois humides des rochers les plus abrupts des Pyrénées, le voyageur le plus indifférent voit avec surprise de larges rosettes de feuilles portant au centre un joli bouquet de fleurs bleues. Les racines de la plante[5] pénètrent dans les fissures les plus étroites du rocher, et elle végète vigoureusement sans autre aliment que l’eau qu’elle absorbe et l’air qu’elle respire. Eh bien, cette plante, limitée aux Pyrénées et aux montagnes voisines du Mont-Serrat, en Catalogne, représente à elle seule, dans l’Europe occidentale, la famille exotique des cyrtandracées. Les deux espèces des genres les plus voisins se trouvent, l’une dans les montagnes de la Roumélie, l’autre dans celles du Japon. Toutes les autres espèces de cette famille sont répandues dans le Népaul, la presqu’île de l’Inde, les îles de Java, de Sumatra et l’archipel des Sandwich. Cette plante est donc évidemment une étrangère au milieu de la végétation pyrénéenne. Si l’on arguait de sa ressemblance apparente avec certaines solanées indigènes, telles que les bouillons-blancs (verbascum), je répondrais par un autre exemple. Plusieurs botanistes découvrirent successivement, il y a quelques années, dans les hautes vallées des Pyrénées, à des altitudes comprises entre 2,000 et 2,800 mètres, une plante basse, munie d’une grosse souche ; c’était une espèce du

  1. Nevium oleander.
  2. Cercis siliquastrum.
  3. Anagyris fœtida.
  4. Ceratonia siliqua.
  5. Ramondia pyrenaica.