Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/651

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
645
LES MIGRATIONS VÉGÉTALES.

dominent. Les unes sont identiques, les autres analogues à celles de nos régions méditerranéennes. Un grand nombre appartiennent à des genres tellement voisins des nôtres que les botanistes hésitent à les en séparer. Transportons-nous à Porto-Santo, distant de Madère de 15 milles (24 kilomètres) seulement, et aux rochers des Désertas, qui n’en sont éloignés que de la moitié; pénétrons dans les montagnes et les ravins de ces îlots, nous y découvrirons avec étonnement des plantes africaines[1], asiatiques[2] et américaines[3], que nous comprendrons avec M. Dalton Hooker[4] sous le nom commun de végétaux atlantiques.

La présence de ces plantes est un fait extraordinaire; c’est exactement comme si l’on rencontrait dans les îles de Jersey et de Guernesey des espèces inconnues sur les côtes de France et d’Angleterre, mais originaires de l’Afrique ou de l’Asie. Il faut dire ici que l’homme, comme toujours, a profondément altéré la flore primitive de Madère. Quand les Portugais la découvrirent en 1419, l’île était couverte de forêts; les nouveaux colons y mirent le feu, l’incendie dura sept ans. La vigne et la canne à sucre prospérèrent admirablement sur ce sol couvert de cendres; mais combien de plantes ont dû périr pendant cette longue conflagration ! A Porto-Santo, autre cause de destruction : en 1418, on y porte une lapine pleine, et sa progéniture multiplie tellement qu’elle broute tout ce qu’elle peut atteindre, menaçant de chasser par la faim les colons eux-mêmes.

Avant de tirer les conséquences de ces faits, étudions les autres archipels. Les Canaries ou Iles fortunées, plus méridionales que Madère et beaucoup plus rapprochées de l’Afrique, ont une flore qui n’a presque rien de commun avec celle de ce continent. On y compte près de mille espèces, la plupart identiques ou analogues à celles du pourtour de la Méditerranée. Cet archipel, beaucoup plus étendu que celui de Madère, possède encore un grand nombre d’espèces qui lui sont propres[5] et qui n’ont jamais été signalées sur aucun autre point du globe. Quelques-unes lui sont communes avec Madère[6]. Les autres rentrent dans le type atlantique et exis-

  1. Espèces des genres Dracœna et Myrsine.
  2. Genres Phœbe et Oreodaphne.
  3. Genres Clethra et Persea.
  4. Lecture on insular floras, delivered before the british Association at Nottingham, 1866. — C’est ce travail qui nous sert ici de guide,
  5. Cytisus nubigenus, proliferus; Retama chodorhizoïdes, Visnea mocanera, Canarina campanula, Arbutus canariensis, Convolvulus canariensis, Echium giganteum, Statice arborescens, Myrsine canariensis, Euphorbia regis-Jubœ, atropurpurea, balsamifera, canariensis; Pinus canariensis, etc.
  6. Pittosporum coriaceum, Clethra arborca, Teucrium canariense, Olea excelsa, Jasminum Barellieri, Apollonias barbusana, Oreodaphne fœlens, Persea indica, Faya fragifera, Danae androgyna, etc.