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rente de l’intelligence : on l’appelle instinct. Elle leur fait produire des actes que chaque individu accomplit sans les avoir jamais vu faire, et qui se répètent invariablement les mêmes de génération en génération. » Sans avoir appris, l’animal sait; il sait de naissance et si bien qu’il ne se trompe pas, même dans des actes d’une complication extrême, dont il semble apporter avec lui le secret au monde. Les petits canards couvés par une poule s’en vont droit à la flaque d’eau voisine et se lancent hardiment à la nage malgré les cris et l’angoisse de leur mère adoptive. L’écureuil fait sa provision de noisettes et d’avelines pour l’hiver avant de connaître l’hiver. Le chien de berger, le chien d’arrêt, savent par don de naissance rendre les services qu’on attend d’eux. L’oiseau né dans une cage, élevé en captivité, s’il est rendu à lui-même, se construira un nid comme celui qu’ont fait ses parens, sur le même arbre, des mêmes matériaux, avec la même forme. L’araignée, chose plus étonnante, tisse sans apprentissage le réseau géométrique de sa toile; l’abeille fait son rayon. L’homme a aussi l’instinct comme les animaux. Par instinct, l’enfant, à peine né, cherche et trouve le sein de sa mère; mais les phénomènes instinctifs chez l’homme sont plus difficiles à déterminer, il faut les chercher avec soin pour les découvrir parce que l’intelligence le plus souvent les masque. D’ailleurs l’intelligence ne manque pas non plus aux animaux, seulement elle prédomine chez l’homme; chez les animaux, c’est l’instinct.

Sauf quelques erreurs de détails, Cuvier a très bien trouvé la limite entre les facultés instinctives et les facultés intellectuelles, mais il n’est pas allé au-delà. Par tendance, par caractère, il aimait peu à sonder ces sortes de problèmes. Avec un dédain superbe dont la postérité a fait justice, il laissait à son rival Geoffroy Saint-Hilaire le soin de rechercher les origines des manifestations de la vie. Cuvier déclarait simplement que chaque espèce a reçu dans le principe telle dose d’intelligence et telle provision d’instinct sagement balancées pour assurer la permanence de cette espèce jusqu’à la fin des temps ou au moins jusqu’à la prochaine révolution du globe. La race intelligente s’arrange avec ses facultés comme elle peut : celles-ci doivent suffire. La race inintelligente, pour y suppléer, apporte au monde une provision d’instinct qui l’aide à faire la route. Ce bizarre système d’une compensation des facultés intellectuelles par l’instinct et réciproquement a pu séduire Cuvier : il était en rapport avec l’ensemble de sa doctrine; mais il ne répond pas aux faits. Parmi les animaux, ceux qui offrent sans contredit les instincts les plus développés sont les insectes : ces moelleuses étoffes du cocon, ces édifices bâtis par les guêpes, ces travaux admirables qu’on recueille précieusement dans les collections, attestent des facultés instinctives extraordinaires; tout semble instinct chez l’insecte, et, d’après