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saurions citer, chez les singes observés en captivité dans les ménageries, un seul fait qui marque aussi bien la délibération et le jugement en commun.

Les phénomènes sociaux offerts par les animaux supérieurs nous sont malheureusement fort peu connus. Nous ne savons que peu de chose de ce qui se passe dans une habitation de castors; nous ne savons rien des mœurs du moineau républicain, qui pour nid bâtit une ville ; les sociétés d’insectes sont jusqu’à ce jour les plus parfaites qu’on ait observées. Du moment qu’il y a société, il y a entente, concours de tous à tout instant pour atteindre un but défini. Aucun zoologiste ne doute plus aujourd’hui que les insectes d’une même espèce ne puissent, dans certaines circonstances, communiquer les uns avec les autres par une langue dont les moyens nous échappent. M. Blanchard dit de la fourmi : « Elle a ses idées et les communique; » mais un curieux détail de l’histoire du scarabée sacré montre encore mieux cela. La femelle, on le sait, enveloppe l’œuf qu’elle vient de pondre d’une boule de fumier, nourriture de la future larve. Il s’agit maintenant de transporter la boule en un lieu convenable, où elle sera enfouie. L’animal roule avec ses pattes de derrière, au besoin soulève avec sa tête ce petit monde où les Égyptiens ont vu l’emblème de leurs mythes. Quelquefois le trajet est assez long; la boule, hissée au sommet des taupinières, roule de l’autre côté, tout est au mieux; mais qu’il se rencontre une ornière, une crevasse, le précieux globe tombe au fond et serait perdu sans retour, si le scarabée n’avait, pour remonter ces parois à pic, que ses propres forces. Vainement il s’évertue et recommence vingt fois; alors il semble abandonner son fardeau, il s’envole. Demeurez en observation; après quelque temps, vous verrez l’insecte revenir, mais non plus seul : il est suivi de deux, trois, quatre, cinq compagnons qui, s’abattant tous à l’endroit désigné, unissent leurs efforts, enlèvent le globe et le remettent dans la route. Qu’a dit le scarabée à ses compagnons? Comment s’est-il fait comprendre? comment les a-t-il ramenés? Il est impossible actuellement de répondre à ces questions; ce qui est hors de doute, c’est qu’il y a eu là concert d’intelligences sachant s’entendre et s’unir. Il n’en faut pas davantage pour affirmer que l’insecte juge, veut et peut-être parle un langage dont nous ne connaissons encore ni les signes ni les organes.

Cuvier se trompait donc quand il proclamait que l’instinct chez les animaux est en raison inverse de l’intelligence. C’est le contraire qui paraît être vrai, et il est au moins vraisemblable que, dans ces intelligences d’insectes qui sentent, veulent, comprennent, délibèrent, il y a, sur une moindre échelle, des diversités analogues à