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cette eau, tous les cylindres deviendront des colonnes à six pans. » On s’est beaucoup moqué de la comparaison de Buffon; cependant tout n’y était pas mauvais. Il avait compris que chaque alvéole avec ses pans coupés à angles réguliers n’était point une œuvre individuelle, ni l’exécution directe du plan original, que c’était une espèce de résultante amenée par le voisinage forcé, l’entassement et la gène mutuelle de constructions conçues sur un modèle plus simple et plus commun parmi les insectes, la loge cylindrique.

Les bourdons, qui sont des mouches hyménoptères comme les abeilles, mettent le miel en provision dans leurs vieux cocons. Quand le vaisseau est trop petit, ils y ajoutent à l’orifice une rallonge de cire. Il peut même leur arriver de construire des cellules isolées d’une forme globuleuse, irrégulière; c’est un premier degré, c’est l’industrie primitive de la cire. Là rien de bien remarquable encore; mais voici qui devient plus important : entre cette grossière simplicité et le travail si parfait de l’abeille, on trouve un intermédiaire, les cellules à miel de la mélipone domestique du Mexique. L’animal lui-même forme la transition, par ses caractères extérieurs, entre l’abeille et le bourdon ; il est plus voisin de celui-ci. Il bâtit, pour garder son miel, un entassement de grandes cellules sphériques placées toutes à égale distance les unes des autres; seulement cette distance est partout moindre que deux fois le rayon de ces sphères, en sorte que toutes empiètent les unes sur les autres, séparées alors par une cloison parfaitement plane ayant juste la même épaisseur que la muraille courbe qui limite la portion libre et sphérique de chaque cellule. S’il s’en trouve trois contiguës, les plans de séparation se coupent à angles égaux, et l’arête commune repose sur le sommet d’une pyramide à trois pans que forment les trois cellules, exactement comme dans un gâteau de miel. C’est en réfléchissant à tout cela, dit M. Darwin, qu’il lui vint à la pensée que si la mélipone, qui construit déjà ses sphères à égale distance les unes des autres, venait à les disposer symétriquement et dos à dos sur deux faces, il résulterait de ce seul fait une construction aussi admirable que le fond d’un double rang d’alvéoles.

Le génie constructeur de la guêpe et de l’abeille a-t-il passé par ces transitions? C’est ce qu’il est impossible d’affirmer; mais l’évidence montre et le calcul confirme que quelques modifications, assez légères en définitive, survenant dans les instincts de la mélipone, pourraient la conduire, après un nombre infini de siècles, — il faut toujours calculer sur de pareilles durées, — à édifier des pyramides trièdres (qu’on trouve déjà dans ses constructions) sur deux ou trois rangs, puis à construire sur ces pyramides, de chaque côté, des rallonges cylindriques en principe (comme celles que met le