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domptant celle-ci avec des sons et des images. Pour analyser cette simple et unique transition, l’espace et le temps lui appartiennent, comme ils appartiennent à la nature, qui n’en est jamais avare et qui ne peut pas être brusquée.

Suivant son habitude, le poète s’efface; il prête la parole à David, qui décrit les phases diverses de la crise du malheureux roi. L’immobilité désespérée de Saül fait place à la douleur, puis au sentiment de ce qui se passe autour de lui, bientôt à la mémoire et à la conscience de sa situation ; enfin le roi revient à lui-même : telles sont les péripéties successives produites dans cet esprit malade par les chants et les discours de David. Lorsque le pâtre d’Hébron, se traînant sur les genoux, entre dans la seconde enceinte de la tente où Saül est enfermé depuis trois jours, il aperçoit la figure gigantesque du prince, plus sombre que les ténèbres mêmes dont elle est enveloppée. C’est à peine si un rayon, filtrant d’en haut à travers une fente, lui permet de reconnaître celui qu’Israël appelait son chef. Saül appuie ses bras étendus sur la traverse qui, attachée à un poteau, soutient à gauche et à droite les toiles du tabernacle. Tel, surpris par ses douleurs, le roi des serpens est suspendu aux branches d’un grand pin du pays d’Asie, et, loin de ses pareils, attend la délivrance et le moment de changer de peau, aux approches du printemps. Alors le pâtre accorde sa harpe et la dépouille des fleurs qui en protègent les cordes de l’ardeur des rayons solaires, de ces rayons aigus comme des épées. Il débute par la chanson du berger qui arrache les brebis à la pâture et leur fait quitter la place favorite où les longues herbes semblent arrêter le courant de l’eau; blanches et bien repues, elles rentrent lentement dans le bercail l’une après l’autre. Puis vient la chanson qui force la caille à voleter après le chanteur, abandonnant le sillon du blé et ses amours peut-être; c’est l’air qui enivre les cigales et les remplit d’une fureur guerrière, l’air qui séduit le gerbo, moitié souris, moitié oiseau, et l’enchaîne, malgré sa timidité, au seuil de son terrier de sable. Puis la chanson des moissonneurs, celle qu’ils font entendre en buvant, quand ils se prennent les mains, quand leurs yeux brillent et que leurs cœurs se dilatent. A cet air succèdent le chant suprême des funérailles, qui console les amis du mort, le chant joyeux du mariage, qui redouble la joie de l’époux, enfin le chœur des guerriers dans la bataille et des lévites autour de l’autel. David s’arrête : Saül a gémi.

Tout est rentré dans le silence. David commence alors à célébrer les joies de la vie humaine et de la force virile, le hardi jeune homme qui bondit de rochers en rochers, ou qui rompt les branches des arbres, le chasseur de l’ours et du lion. Il célèbre le repas fait