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non des mannequins redondans, rembourrés de paille, capitonnés comme des fauteuils, n’ayant point de squelette où se prennent les muscles, point de muscles dont la saillie corresponde à leurs mouvemens. Chez Gros, il apprit l’entente des masses et des effets, l’harmonie, l’expression, non point simple, mais puissante, car celui-là fut un artiste sérieux, soucieux de la vérité, auquel il ne manqua peut-être qu’une époque plus propice pour qu’il eût quelque chose à transmettre. On peut s’en assurer sur ses tableaux du Louvre, les Pestiférés de Jaffa et la Bataille d’Eylau, grandes pages où le peintre se séparait avec un certain éclat de la réaction personnifiée par David. M. Barye profita de cet enseignement. À l’École des Beaux-Arts, il concourt pour le prix de gravure en médailles, et bien que le thème proposé, le Milon de Crotone, dont Puget tira un jour une inspiration saisissante, rentrât dans ses moyens, il ne paraît pas avoir eu l’avantage sur ses concurrens. Ce n’est pas lui qui obtint d’aller, voyageur lauréat, séjourner dans la villa Médicis. Il ne réussit pas non plus dans son Caïn maudit de Dieu ; il fut classé au second rang. D’autres épreuves ne furent pas plus heureuses, soit que les signes d’indépendance fussent déjà chez lui trop manifestes, soit que réellement ses rivaux, qu’il a distancés depuis, lui fussent alors supérieurs.

Ne regrettons pas trop ces échecs, qui le désolèrent en leur temps, mais qui ne l’abattirent pas. Une porte se fermait ici ; que faire ? En ouvrir d’autres, s’adresser plus haut, frapper plus fort. Telle est la revanche des vaincus, quand les ressorts et le courage ne sont pas brisés. Les amis de Barye soutinrent plus tard qu’il eût perdu en Italie une partie de son originalité naissante. Nous pensons pour notre part qu’il n’y eût point abandonné l’accent de son pays, et qu’il était en mesure de ne pas s’amollir dans les délices de Rome. Il n’est point dans sa nature de perdre ce qu’il a une fois acquis. La première œuvre qu’il exposa fut un faisan, puis il demeura quatre ans sans se faire remarquer au Salon. Il n’avait pas cette impatience si funeste, commune à la plupart de nos artistes. Il reparut avec un Tigre dévorant un crocodile, une de ses belles œuvres à laquelle plus tard on ne ménagea pas l’admiration, quand la justice fut venue de son pas lent et boiteux. Il donna aussi, au Salon de 1831, un Saint Sébastien, grand modèle en plâtre aujourd’hui perdu par la « complaisance » du Louvre, qui l’avait gardé dans une de ces salles où l’administration retirait alors les objets qui n’étaient pas repris à temps.

M. Barye obtenait une médaille à ce Salon de 1831. Est-ce le Saint Sébastien qui lui valut cet honneur ? Il le pleura peu cependant et ne le recommença point. Fut-ce plutôt le Jaguar ? Cela