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des caravanes de sept et huit cents coulies, portant des sacs de café aux deux extrémités du bambou équilibré qui s’incruste dans leurs épaules; lorsqu’à côté de ces files de porteurs trottans on a croisé des convois de quatre cents bêtes de somme pliant sous leurs bâts, puis des deux cents charrettes traînées par des buffles et remplies d’huile de coco, de vanille, de cannelle, de quinine, de thé, on ne peut concevoir que cette chaîne de transports difficiles et lents n’ait pas encore été remplacée par la vapeur. » Le croirait-on? l’introduction des routes ferrées a rencontré une vive opposition, non point chez les naturels, mais parmi les colons européens. Ils ont peur du travail libre; ils craignent de voir s’écrouler tout un système économique qui a fait de 14 millions d’indigènes les corvéables de 25,000 Hollandais. En conservant les institutions et même les autorités locales, en se substituant seulement aux sultans comme propriétaire du sol et en dirigeant les princes par des résidens européens attachés à leurs personnes, le gouvernement hollandais a su exploiter à son profit les prérogatives féodales des anciens maîtres de ces pays. Les plantations appartiennent au gouvernement, et les naturels sont forcés de les cultiver. C’est ainsi que la métropole tire annuellement de Java un bénéfice net de plus de 60 millions. S’il est certain, d’un côté, que le « despotisme paternel » des Hollandais a eu pour résultat de doter la colonie de cultures d’un grand rapport et d’en assurer la prospérité matérielle, on ne peut, d’un autre côté, méconnaître qu’il serait temps de songer à l’amélioration morale de ces populations. Les esprits libéraux en Hollande et à Java même commencent à se demander s’il est juste qu’une race entière soit pressurée à ce point au profit d’une métropole éloignée et qu’elle soit maintenue dans la plus basse humilité. « A peine un blanc est-il en vue, dit M. de Beauvoir, vite tous les indigènes s’accroupissent sur leurs talons en signe de respect. Sur la route que nous avons suivie, pas un n’est resté debout; ils semblaient s’abattre également de droite et de gauche, à mesure que nos chevaux soulevaient la poussière, comme s’ils étaient des capucins de cartes fauchés sur notre passage. » Dans l’intérieur de l’île, le servilisme s’accroît encore, si c’est possible; du fond des rizières jusqu’à deux cents pas la présence des blancs donne le signal de l’accroupissement général; bien plus, en se blottissant, les naturels tournent le dos aux blancs qui passent et gardent les yeux baissés à terre. Cette prosternation chez une race qui a été fière et qui est toujours intelligente fait mal à voir; elle peint le niveau moral de la génération actuelle et accuse l’égoïsme des maîtres. On ne peut donc que s’associer aux vœux de M. de Beauvoir lorsqu’il réclame pour ce peuple abaissé sa part au soleil.

Les sept jours que l’auteur a passés dans le royaume de Siam ont été bien remplis, à en juger par la quantité d’observations qu’il a pu recueillir et par le nombre des faits curieux qu’il révèle. Je ne citerai que la fantastique visite au second roi de Siam, qui était alors mort depuis