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neuf mois. Voici le procédé de momification auquel les Siamois soumettent le cadavre royal. On installe le défunt sur un trône de bois de fer, mais percé ; puis, au moyen d’un entonnoir introduit dans son gosier, on lui fait avaler une trentaine de litres de mercure. L’opération le dessèche très promptement. Le pesant liquide, plus ou moins amalgamé, est recueilli au fur et à mesure dans un vase de bronze sculpté, placé sous le trône. Chaque matin, les grands corps de l’état viennent en pompe chercher le vase et vont le vider dans la rivière. Quand le roi se trouve ainsi réduit à la sécheresse d’un copeau, on le plie en deux, et, ramenant les jambes à la hauteur de la tête, on ficelle le tout comme un saucisson, le dépose dans une urne d’or et l’installe sur un beau catafalque. Ce roi empoté tient sa cour encore pendant un an, exactement comme s’il vivait. Sous les colonnades de son palais circulent des centaines de mandarins, vêtus de blanc en signe de deuil. De longs cordons rayonnent du socle de l’urne funéraire dans toutes les directions ; ils aboutissent à des chambellans en adoration. Tous les jours, au lever et au coucher du soleil, le harem, au grand complet, se présente devant l’autel où trône son maître ; toutes ces femmes, elles sont plusieurs centaines, viennent lui parler par les cordons blancs. Aux yeux des Siamois, ce n’est pas du veuvage, c’est de la vie conjugale… posthume. Le veuvage ne commence que le jour où le feu roi sera mis sur le gril pour la crémation. Une grande corbeille d’or, placée sur la première marche du mausolée, renferme les lettres et placets adressés à sa majesté depuis son décès, et qui attendent une réponse.

À Macao, M. de Beauvoir a visité les barracons, entrepôts célèbres de la traite des Chinois, que par euphémisme on appelle « l’émigration des coulies. » Né depuis vingt ans, cet horrible commerce a déjà une histoire marquée par toute sorte d’atrocités. Des prisonniers de guerre amenés de l’intérieur, des pêcheurs enlevés par les pirates, enfin des milliers de pauvres diables abusés par de fallacieuses promesses, étaient embarqués à Macao et transportés soit aux îles de guano, soit aux plantations de l’Amérique. Depuis 1856, le gouvernement portugais a pris la surveillance de la traite et l’a régularisée. Les coulies partent donc maintenant de leur plein gré. Cela est vrai en ce sens qu’ils ont le choix de partir ou de rester, insolvables, entre les griffes des créanciers qui les voueront à une implacable vengeance, car il va sans dire que ceux qui arrivent aux barracons appartiennent généralement, corps et âme, aux commissionnaires qui les amènent. Le propriétaire du barracon les achète 350 francs et les revend 750 francs par tête à l’agence espagnole de navigation, et sur le marché de Cuba la marchandise humaine vaut environ 1,750 francs. Par le contrat signé à Macao, le coulie s’engage à travailler douze heures par jour, pendant huit ans, au service du propriétaire de ce contrat, et à renoncer à sa liberté pendant ce temps ; le patron le nourrit, l’habille et lui donne 20 francs par mois ; mais le sort