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pas croire qu’ils eussent sans motifs et de gaité de cœur risqué de s’aliéner à jamais un allié aussi précieux. Jaloux de maintenir dans les rangs de leur parti l’unité et la cohésion, les chefs aristocratiques des whigs n’avaient point rencontré chez Brougham cet esprit de prompte discipline qui sait faire des sacrifices d’indépendance au profit de l’entente commune. Ils redoutaient son impétuosité, ses écarts, ses variations; en un mot, ils n’avaient pas pleine confiance en lui. Le poids de ces préventions devait peser lourdement sur la vie politique de Brougham; nous verrons qu’il fut toujours plutôt subi qu’accepté par les whigs, et que sa considération, son autorité, ne grandirent jamais dans la proportion de son talent et de ses services. Comme lieutenant, les généraux du parti l’appréciaient à sa valeur; mais il ne devint jamais ni leur chef ni leur ami.

Brougham dut attendre quatre mortelles années avant que l’entrée du parlement lui fût ouverte de nouveau. Ce fut en 1816 seulement que le comte et la comtesse de Darlington, dont l’influence était grande sur l’esprit de son mari, l’appelèrent à représenter au parlement le bourg de Winchelsea. Durant le temps que Brougham était demeuré forcément à l’écart des affaires, la situation et la force respective des partis avaient singulièrement changé. En 1812, les whigs se croyaient à la veille de saisir le pouvoir, et personne n’avait foi dans la durée du ministère tory formé sous les auspices de lord Liverpool et de lord Castelreagh; en 1816, ce même ministère, récemment fortifié par l’accession de Canning, disposait dans la chambre des communes d’une majorité considérable. Il possédait la confiance absolue du régent, et jouissait auprès de la nation d’une popularité sans bornes que lui avait value le triomphe de Waterloo. Chaque jour qui s’écoulait avait vu au contraire diminuer le crédit du parti whig et décroître le nombre de ses adhérens. Les whigs avaient froissé le sentiment national en continuant à se montrer partisans systématiques de la paix durant la longue guerre avec la France, et ils devaient porter longtemps la peine de n’avoir pas oublié à temps leurs mesquines rivalités pour suivre le grand mouvement patriotique dont l’élan fut si fatal à Napoléon. En 1816, ils formaient encore une coterie nombreuse; mais, comme parti politique, on pouvait dire qu’ils n’existaient plus.

Rendons cette justice à Brougham qu’il n’eut pas un seul instant la pensée de déserter les rangs de l’armée la plus faible pour s’abriter sous le drapeau du plus fort. Sa fidélité politique n’était pas à l’épreuve de tous les mécomptes et de tous les ressentimens, mais ce fut toujours la passion et non le calcul qui détermina ses défections. D’ailleurs le ministère tory devait faire bientôt la partie belle