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munes. Les plus hautes espérances étaient éveillées au sein du pays; on croyait que tous les anciens abus étaient destinés à disparaître, que les souffrances du peuple auraient bientôt un terme, et que l’Angleterre allait jouir d’une prospérité inconnue dans les annales des nations. Une si prodigieuse attente devait rendre l’opinion sévère pour les moindres fautes des whigs, et c’était le plus populaire parmi eux qui devait faire l’expérience la plus cruelle du contraste entre les exagérations de l’enthousiasme et celles de la rigueur publique.

La question irlandaise fut la première difficulté que rencontra le cabinet whig et la pierre d’achoppement où vint se heurter sa fortune. Les mêmes passions hostiles qui avaient produit les révoltes du commencement du siècle continuant d’agiter la malheureuse Erin, lord Stanley, depuis lord Derby, à cette époque secrétaire au département de l’Irlande, réussit à persuader à ses collègues que ce pays deviendrait ingouvernable, si, par la suspension de l’habeas corpus et par l’établissement de cours martiales, le lord lieutenant n’était investi de pouvoirs à peu près illimités. De tous les ministres, Brougham était, à raison de ses opinions libérales, celui qui aurait dû éprouver la plus vive répugnance à inaugurer ainsi par des mesures de rigueur la toute-puissance des whigs. A la surprise générale, il se montra au contraire un partisan résolu du bill demeuré célèbre sous le nom de bill de coercition de l’Irlande, et, comme c’était sa coutume de toujours se mettre en avant, il en revendiqua hautement la responsabilité dans les débats qui s’engagèrent à la chambre haute. Le bill fut adopté par les pairs tories avec un empressement qui aurait dû donner l’éveil aux whigs; mais il souleva de vives protestations dans la chambre des communes, et dès lors les accusations de perfidie et de cruauté ne manquèrent pas au ministère whig. Assurément Brougham méritait mieux par l’activité bienfaisante qu’il continuait à déployer dans l’intérêt de toutes les grandes causes qui, avant son entrée dans le cabinet, avaient occupé sa vie. Son principal honneur dans cette session fut de compléter l’œuvre de Wilberforce, en faisant adopter par la chambre des lords un bill qui abolissait l’esclavage dans les colonies anglaises. Il s’en fallait cependant que les lords eussent pour lui une considération égale à ses services et à son influence. Les défauts de sa manière oratoire, l’intempérance, la brutalité, indisposaient contre lui la grave assemblée à un degré bien plus vif encore que la chambre des communes. Il ne ménageait personne, ni ses collègues les lords légistes, Lyndhurst et Wynford, qu’il confondait dans un même mépris en disant que le premier était tombé dans une erreur dont la grossièreté aurait fait honneur au second, ni le duc de Cumberland,