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lords, des projets de lois dont l’adoption aurait bouleversé toute la législation anglaise, puis il ne se mettait pas plus en peine de les soutenir que s’il se fût agi d’un propos jeté en l’air dans la conversation. La présence du roi ne parvenait pas à le contenir dans les bornes de la bienséance, et il faisait le désespoir des chambellans par le sans-façon avec lequel il manquait à l’étiquette. En un mot, il se livrait à tous les caprices de son humeur fantasque comme un homme que personne ne tient plus en bride, et il excitait, suivant la gravité des circonstances, tantôt le rire et tantôt l’impatience de ses collègues. Ce fut bien pis quand la session fut terminée. Au lieu de se retirer à Brougham-Hall selon son habitude, il crut l’occasion favorable pour se rendre aux vœux des Écossais, qui depuis longtemps le sollicitaient de venir en grande pompe visiter le théâtre de ses humbles débuts. Brougham n’aimait pas beaucoup en général à rappeler les relations qui l’unissaient à la patrie de sa mère ; mais dans une circonstance où il s’agissait de recueillir les hommages enthousiastes des Écossais, il n’avait pas de répugnance à les nommer ses compatriotes. Si la popularité de Brougham était déjà considérablement entamée en Angleterre, elle était demeurée entière en Écosse. Son excursion dégénéra bientôt en un voyage triomphal. Il n’était pas de petit village qui n’envoyât une députation sur sa route. Les dans des highlanders descendaient de leurs montagnes, cornemuses en tête, pour venir au-devant de lui. Des décharges de mousqueterie saluaient son passage, et l’air retentissait des pibrochs favoris. Il allait ainsi de ville en ville, banquetant et prononçant des discours dont les termes n’étaient pas toujours très mesurés. C’est ainsi qu’à Inverness, où il avait reçu un accueil particulièrement chaleureux, il s’avisa assez malencontreusement de dire que cet enthousiasme était à ses yeux le gage de l’amour des Écossais pour leur souverain, et il promit d’en informer le roi par lettre le soir même. La lettre fut écrite en effet durant la nuit, « entre deux bols de punch, » raconte un témoin oculaire, et il faut que la rédaction s’en soit ressentie, car le roi s’en montra vivement offensé. A Rothiermurchus, chez la duchesse de Bedford, où une nombreuse société de dames se trouvait réunie, Brougham devint le héros d’une aventure à la fois désagréable et plaisante. Il se familiarisa avec les aimables hôtesses de la duchesse au point que celles-ci s’enhardirent un soir à lui dérober le grand sceau d’Angleterre, qui, aux termes de la loi constitutionnelle, doit toujours voyager avec la personne du chancelier. Grande fut la détresse de Brougham quand le lendemain matin il ne retrouva plus son grand sceau. Pareille perte eût été pour lui la source d’une infinité de ridicules et de désagrémens. Le spectacle de sa consternation atten-