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graines sèches de pastèques et de pins, des oranges mandarines, des litchis, un dessert complet. Croyant à un malentendu, nous nous résignons à voir le dîner se changer en collation ; mais, tout au rebours de ce qui se passe en Europe, c’est par le dessert que les festins commencent, et trois heures durant nous avons vu se succéder sur la table les mets les plus étranges et les plus recherchés. La terre et la mer sont mises à contribution par ce soldat parvenu ; nids d’hirondelles, vers de toutes les espèces, entrailles de poisson, lichens, etc., voilà les mets les plus simples dont ma mémoire a gardé les noms ; une foule de viandes hachées menu parurent ensuite, et l’on servît le potage à la fin du repas. Chacun de nous but à longs traits du thé chaud, trempa ses lèvres dans du vin de riz, et s’essuya les doigts dans les morceaux de papier qui tenaient lieu de serviettes. Fidèle à la loi du Koran, Ma-Tagen jeûnait en nous regardant faire. Notre sans-gêne l’enchanta, et nous sortîmes de chez lui avec un ami de plus, ami précieux, de quelque côté qu’il se tourne.

Le troisième personnage dont le concours pouvait nous devenir utile était le vieux papa, le prêtre vénéré dont l’ambition s’était un instant démasquée après l’assassinat du vice-roi Pan, et qui, je l’ai dit plus haut, vivait depuis dans son yamen, au milieu des télescopes et des mappemondes, feignant d’embrasser dans ses études le ciel et la terre. Ces graves occupations ne suffisaient pas cependant à remplir sa vie. L’intrigue et jusqu’à des passions mesquines comme la susceptibilité et la vanité se glissaient à travers les fissures laissées dans son vaste cerveau par la science universelle. Nous lui avons fait attendre notre visite, et, sans l’envie de voir des étrangers et d’étaler devant eux ses connaissances, il ne nous aurait pas pardonné ce retard. Deux fois nous nous sommes présentés à sa porte, et deux fois il nous a fait répondre qu’il était en prière. Enfin, poussé par le besoin de savoir exactement la distance qui sépare la terre du soleil, d’être fixé sur le temps que mettrait un oiseau pour se rendre de Yunan-sen dans la lune, ou un boulet de canon pour atteindre une étoile, — tels étaient les termes par trop concis dans lesquels étaient posées la plupart de ses questions, — il nous donna rendez-vous chez lui. Ses gens, graves comme les serviteurs d’un dieu, nous introduisirent avec respect dans le sanctuaire où trônait l’oracle, petit vieillard à la moustache blanche et au nez aquilin. Son front bombé supportait un bonnet fourré ; dans les cavités profondes de ses orbites, deux yeux presque éteints, mais toujours agités, donnaient une sorte de mobilité mécanique à sa figure austère, dont les rides formaient, en se déplaçant suivant le jeu de sa physionomie, une foule de dessins bizarres. À notre entrée, on apporta le thé, puis du sucre candi. Notre hôte, s’étant