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facile de se débrouiller au milieu des légions de figures qui peuplent les voûtes de la Sixtine, et il faut un certain temps avant de séparer les acteurs réels de ces fresques, les personnages qui ont une signification morale, de la foule des figures accessoires qui ne sont là que comme ornemens et décors. Ces ornemens accessoires sont tellement beaux, que l’œil s’y intéresse tout autant qu’aux parties essentielles de l’œuvre, et qu’il s’arrête aussi longtemps à les contempler. Une fois qu’on est arrivé à séparer les parties secondaires de l’œuvre des parties essentielles, il faut surmonter une seconde difficulté, tâche qui équivaut à remporter une victoire sur soi-même. L’impartialité passive, indifférente, dirai-je presque, est la clé magique qui ouvre le sens des grandes œuvres. Celui-là seul qui les aborde avec un désir sans égoïsme, qui n’a pas souci d’y trouver sa propre image, qui cherche ce qu’elles sont, non ce qu’il voudrait qu’elles fussent, qui leur demande, non d’exprimer ses sentimens, mais d’exprimer des sentimens originaux, et qui veut vivre, ne fût-ce qu’une minute, de ces sentimens pour en connaître à fond et d’une manière intime la nature, celui-là seul a chance de ne pas se tromper sur les œuvres d’art. Pour pénétrer le sens de la Sixtine, commençons donc par ne pas faire un Michel-Ange à notre image, et prenons-le pour ce qu’il fut, c’est-à-dire pour un républicain florentin de l’an 1500, — ce qui constitue un personnage fort différent d’un radical humanitaire parisien de l’an 1870, — florentin profondément chrétien et catholique, et non pas voltairien, qui fut aux gages de la papauté, et accepta la tâche d’orner la chapelle où le pape célèbre l’office divin de peintures qui nécessairement devaient être assorties au caractère et à la destination de cette chapelle. Quand on aborde la Sixtine avec ces dispositions-là, le sens de l’œuvre de Michel-Ange devient fort clair, et la filiation logique des idées qui la composent se laisse lire sans difficulté.

Sur la partie plate de la voûte, Michel-Ange a peint les faits métaphysiques qui sont les fondemens du christianisme, et qui dès l’origine des temps l’ont rendu nécessaire. Remarquons d’abord combien le choix de ses sujets est peu arbitraire ; tous sont empruntés exclusivement aux premiers chapitres de la Genèse, tous racontent les commencemens du monde selon la Bible et ne racontent pas autre chose. La création et le péché invétéré dans la nature humaine, voilà les sujets qui se partagent à peu près également les fresques du plafond. A partir du cinquième compartiment, l’homme se présente à nous comme irrémédiablement, incorrigiblement pécheur. Il perd l’Éden par sa désobéissance ; mais ce châtiment terrible n’a pu corriger ses descendans, et la race humaine est devenue si perverse que Dieu prend le parti d’en finir avec elle par le déluge et de confier au seul juste existant sur la terre le soin