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Ange, c’est la force ; Raphaël, c’est la grâce ; voilà qui est admis. Je demande à troubler quelque peu le repos de ceux que contentent de pareilles classifications. Michel-Ange est la grâce au moins autant que la force. Je n’en veux d’autre preuve que ce qu’on peut appeler les figures secondaires de la Sixtine, ces enfans qui sont placés dans les cadres de chaque prophète, ces jeunes gens qui ferment les quatre côtés de chacun des compartimens de la voûte, figures qui n’ont qu’un seul défaut, c’est qu’elles sont tellement belles qu’elles attirent et retiennent l’attention du contemplateur au détriment des parties essentielles de l’œuvre. On pourrait rendre bien des visites à la chapelle Sixtine et en sortir lassé d’admiration, sans avoir vu cependant autre chose que quelques-unes de ces figures, car il n’en est pas une seule qui ne soit digne d’être un sujet capital d’étude pour un artiste et qui ne méritât un commentaire ; mais l’abondance même de Michel-Ange appauvrit sa gloire d’une partie de l’admiration qui lui serait due. Dans les galeries de l’académie de Saint-Luc, l’œil s’arrête tout à coup devant une figure d’enfant peinte à fresque, et en oublie aussitôt les jolies choses sur lesquelles il se promenait tout à l’heure avec plaisir. Cette figure d’enfant nu est de Raphaël et se trouvait au Vatican, où elle se morfondait et se délabrait sous l’action de l’humidité. Enfin une âme compatissante, peut-être celle du pape actuel qui est réellement tendre aux belles choses, ainsi que le prouvent tant d’heureuses restaurations accomplies sous son règne[1], pensa charitablement que l’absence de ce superbe enfant ne risquait pas d’appauvrir le riche Vatican, et qu’il pourrait être transporté dans un endroit plus chaud ; c’est ainsi que nous avons pu l’admirer longuement, tout à notre aise, à l’académie de Saint-Luc. Nous l’avons admiré longuement, pourquoi ? parce qu’il était seul et qu’il concentrait sur lui toute notre attention ; mais s’il eût été entouré de cent personnages, tous d’un dessin aussi pur et d’une grâce aussi captivante, à peine aurions-nous eu le temps et la force de le distinguer. C’est la condition défavorable que crée à ces figures de la Sixtine la richesse du génie de Michel-Ange. Telle d’entre elles aurait suffi à conserver le nom d’un artiste ; elle se perd dans la foule.

  1. Pie IX a rendu aux arts des services signalés dont tous les érudits et les artistes lui garderont reconnaissance. La réédification de Saint-Paul-hors-les-murs est aujourd’hui presque complète, on vient d’achever la restauration de Saint-Laurent-hors-les-murs ; Santa-Agnese-Porta-Pia, Santa-Maria-in-Transtevere, la Trinita-dei-Monti, ont été réparées ; la confession de Sainte-Marie-Majeure a été reconstruite, et on répare en ce moment, dans cette même basilique, la chapelle de Sixte V ; les Loggie de Raphaël ont été préservées d’une ruine certaine. Cependant le plus précieux de ces services, c’est la création du musée de Saint-Jean-de-Latran, surtout de la partie qui concerne les antiquités chrétiennes, une des mines d’instruction les plus riches qu’il y ait à Rome.