Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/1001

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

platonicien mêlé de chrétien? C’est en vain que nous le cherchons. Tort grave, car un monument funèbre ne peut avoir que deux caractères : ou bien il doit être un monument simplement commémoratif d’une mémoire illustre, ou bien il doit exprimer la nature générale du mort, et non telle ou telle de ces natures épisodiques qui se rencontrent à tel ou tel moment de la vie d’un grand homme, mais qui ne sont pas essentiellement lui, et ne sont pas liées à ce qu’on peut appeler son âme permanente. Il est vrai qu’un tombeau qui aurait laissé transparaître la complète nature du Tasse aurait pu sembler déplacé dans une église; mais il y avait un moyen d’obvier à cet inconvénient. C’est au grand air, en pleine lumière, qu’aurait dû s’élever le monument destiné au plus grand peintre de la lumière qu’ait eu l’Italie. Pourquoi ne l’a-t-on pas placé au centre de la petite terrasse devant Saint-Onuphre, d’où l’on a une si belle vue de Rome, et où, selon toute probabilité, le Tasse est venu bien souvent s’asseoir?

Un autre fils bien illustre de l’Italie a laissé à Saint-Onuphre une de ces précieuses œuvres dont il fut si avare, et dont le temps semble plus jaloux que des œuvres de tout autre artiste, car celles qu’il n’a pu détruire entièrement et d’un coup, il les ronge lentement. C’est une madone peinte à fresque sur le mur du corridor qui conduit à la chambre du Tasse par Léonard de Vinci. Cette œuvre offre cette particularité curieuse, qu’elle ne porte aucun des caractères des figures peintes par Léonard. La seule expression de cette Vierge, un peu molle et sans beaucoup de noblesse, est une expression de complaisant orgueil maternel. Sur ses genoux se tient debout l’enfant Jésus,. robuste bambin, d’âge difficile à préciser comme beaucoup des bambini peints par le Pérugin; un doigt levé, il parle avec autorité au donataire, bon vieillard qui écoute respectueusement, sa barrette à la main. Cela rappelle par le caractère pittoresque, et beaucoup plus encore par le génie moral, l’école d’Ombrie et l’ancienne école bolonaise, le Pérugin et Francia. Dans cette petite fresque se trouvent les deux idées profondes que l’on rencontre si souvent dans les représentations de l’enfant Jésus par Francia et Pérugin. La première de ces idées est l’indication de la divinité par la stature de l’enfant. En parlant récemment de la Vierge byzantine de Santa-Maria-in-Cosmedin, nous faisions remarquer que l’artiste grec avait su faire une vierge géante sans exagérer les proportions ordinaires du corps humain; ainsi font pour l’enfant Jésus, un peu plus lourdement, il est vrai, que l’artiste grec, Pérugin et Francia. La stature exceptionnelle de ces bambini en fait des sortes d’énigmes qui arrêtent l’attention. On se sent en présence d’un être mystérieux devant cet enfant qui donne envie de se demander s’il