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stances exceptionnelles, extrêmes, il peut quelquefois, nous en convenons, être une ressource désespérée aux mains d’un pouvoir résolu à recourir à la force. Dans ce cas, de quelque façon que tourne le combat, c’est une révolution, et un article constitutionnel est parfaitement inutile. — Mais alors, dira-t-on, s’il survient des conflits entre les pouvoirs, on ne pourra donc pas les dénouer pacifiquement ? — Il y a au contraire un moyen très simple que toutes les constitutions réservent au chef de l’état sous un régime monarchique, c’est le droit de dissoudre la chambre élective. — Mais si c’est la même chambre qui revient avec un mandat nouveau et une pensée persistante ? — Alors effectivement la question se complique ; seulement, dans ce cas, on voit bien qu’il ne s’agit pas de dénouer pacifiquement des conflits, ce qui est toujours possible par ces transactions qui sont l’essence du régime constitutionnel, il s’agit de les trancher au profit d’une autorité prépondérante, et l’appel direct au peuple n’est qu’une diversion hardie pour enlever un vote en déplaçant les questions. On est obligé, pour discuter cette singulière prérogative, de s’engager dans une véritable métaphysique de coups d’état.

Tout ce qu’on peut dire de mieux, c’est que ce droit ne peut plus avoir les conséquences pratiques qu’il a eues, et que l’empereur paraît y tenir, moins sans doute pour ce qu’il en peut faire que parce qu’il y voit en quelque sorte le titre distinctif de sa souveraineté. L’empereur tient à garder son caractère de souverain élu et à laisser dans la constitution le cachet de son origine populaire. — Soit ; qu’on laisse, si l’on veut, dans la constitution nouvelle, à côté de la responsabilité impériale, ce droit vague, mystérieux, d’en appeler au peuple dans certaines circonstances exceptionnelles ; mais il y a autre chose dans le projet qu’avait présenté le gouvernement et que la commission du sénat propose de consacrer, il y a cet article relégué à la fin et qui déclare que la constitution nouvelle, telle qu’elle va être votée, ne pourra plus désormais être réformée que par le peuple sur la proposition de l’empereur. Quel motif y a-t-il ici de soustraire un acte aussi grave que la réforme de la constitution à la délibération réfléchie de tous les pouvoirs publics ? Cette délibération n’est-elle pas au contraire le préliminaire naturel, nécessaire, d’un remaniement des institutions fondamentales ? Le sénat en prend bien vite son parti, et il nous laisse là un singulier testament de son existence de corps constituant. Les raisons que donne l’honorable rapporteur de la commission, M. le président Devienne, ne nous semblent pas des plus sérieuses, elles nous font bien plutôt sentir la gravité de la détermination qu’on va prendre.

Cette immutabilité constitutionnelle qu’on propose se comprendrait encore à demi, si le sénat, entrant dans une voie qui semblait toute tracée, s’était mis courageusement à élaguer, à simplifier la loi organique, en la réduisant à quelques dispositions essentielles sur lesquelles il est inutile de discuter parce qu’elles sont invariables. Loin de là, dans