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ainsi que, pressé successivement, gagné quelquefois de vitesse par les difficultés toujours renaissantes, il est arrivé presque sans s’en douter au plébiscite comme au dernier des expédiens. Il a cru sans doute faire la chose la plus simple, la plus décisive, la plus propre à simplifier définitivement la situation. Malheureusement il s’est fait illusion sur deux points graves ; il a soulevé d’une main bien hardie ou bien légère cette immense question du droit plébiscitaire, qui, si elle n’est pas résolue par un compromis, peut laisser un germe fatal dans notre transformation, et du même coup il s’est frappé lui-même, il s’est senti ébranlé par la retraite de M. Buffet, suivie maintenant de la retraite de M. le comte Daru, de sorte qu’il y a un plébiscite de plus et deux ministres de moins. C’est M. le comte Daru qui, pour affirmer la parfaite unité du cabinet, assurait, il y a deux mois, qu’on ne pourrait détacher une pierre de l’édifice du 2 janvier sans que l’édifice s’écroulât tout entier. Deux pierres viennent de tomber coup sur coup, l’édifice subsiste encore sans doute, puisque c’est M. Émile Ollivier qui aujourd’hui comme hier est le chef du cabinet. La situation cependant ne laisse pas de devenir délicate, et elle est aggravée par les circonstances mêmes dans lesquelles s’accomplit ce démembrement.

Lorsque ces jours derniers M. Jules Favre essayait avec plus de passion que d’habileté de provoquer des explications sur cette récente crise ministérielle, il dépassait assurément la mesure de la vérité et de la justice en s’armant de la dignité d’un ministre démissionnaire contre le reste du cabinet, en représentant le ministère survivant comme ayant cessé d’être un pouvoir parlementaire pour devenir le complaisant docile du gouvernement personnel. Couvrir de fleurs un peu trop artificielles le ministre des finances, redevenu simple député, n’était qu’un moyen d’aiguiser des sarcasmes plus amers contre ceux dont il venait de se séparer. Il n’est pas moins certain que la retraite de MM. Buffet et Daru, s’accomplissant à cette heure, entre un sénatus-consulte où les deux ministres ont mis leur nom et un plébiscite qui n’est pas encore voté, prend une signification singulière. M. Buffet n’avait pas besoin de s’expliquer pour qu’on devinât son secret. Il est bien clair que, dans cette lutte intime qui a dû s’engager, l’ancien ministre des finances représentait les scrupules parlementaires, les répugnances contre la politique plébiscitaire. À quel moment précis ces scrupules se sont-ils éveillés ? Comment, après avoir signé le sénatus-consulte, après avoir paru couvrir d’une approbation silencieuse le plébiscite annoncé au corps législatif, M. Buffet en est-il venu tout à coup à croire qu’il ne pouvait pas aller plus loin ? Ce n’est qu’une affaire de détail. Le fait est que le ministre des finances s’est arrêté, sans doute en partie à cause du plébiscite actuel, plus probablement encore parce qu’il n’a pas pu obtenir des garanties de délibération législative pour les plébiscites possibles de l’avenir. Il a reculé devant l’inconnu, et, sa résolution une fois prise,