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avalanches. Ce qu’il y avait à craindre, c’étaient les vents qui balaient sans cesse ces plaines immenses, et qui, chassant la neige devant eux, menaçaient d’en obstruer la voie ferrée. Pour parer à ce danger, on a, sur un long espace de terrain et partout où il a semblé nécessaire, bâti de chaque côté de la voie une double rangée de palissades qui ont de 3 pieds 1/2 à 5 pieds de hauteur. Quelques-unes sont en bois, mais la plupart du temps on s’est servi de pierres pour les construire. Elles suivent un tracé parallèle à la voie à une distance d’environ 30 pieds, avec un intervalle d’égale étendue entre la première et la seconde rangée. Tout porte à croire que ces ouvrages ne seront pas d’une protection suffisante. Au dire de quelques hommes du métier, ces palissades, pour être efficaces, devraient avoir une élévation de 12 pieds ; mais les frais de construction de quatre murailles (deux de chaque côté de la ligne), sur un parcours d’au moins 50 kilomètres, sont tellement considérables, que la compagnie de l’Union n’a pas encore pris à cet égard de résolution définitive. De même que pour les ponts entre Promontory et Wasatch et dans le pays des Eaux-Amères, elle s’est bornée, pour ces abris-neige, à élever des remparts provisoires. La commission d’examen évalue à 500,000 francs la dépense nécessaire pour protéger la voie contre l’invasion des neiges. Cette somme toutefois paraît encore insuffisante en présence des travaux à exécuter. En Amérique, on ne se préoccupe guère de l’avenir : pourvu que dans le présent tout aille bien ou à peu près, on se déclare volontiers satisfait. Chacun pour soi, c’est la devise régnante. La génération actuelle n’a qu’à se préoccuper de ses besoins réels, les générations futures ne seront pas plus embarrassées que celle d’aujourd’hui pour exécuter ce qui sera indispensable à leurs intérêts, à leur sécurité et à leur bien-être. Le non-souci de l’avenir et de la postérité permet de faire beaucoup pour le présent.

Après avoir quitté Laramie, on franchit à Sherman le plateau des Collines-Noires et le point culminant de la ligne du Pacifique. Avant d’arriver là, le pays, si monotone, devient un peu plus accidenté ; mais les difficultés à surmonter ne sont pas graves, et ne peuvent nullement être comparées à celles que les compagnies ont rencontrées dans les montagnes de Wasatch et dans la Sierra-Nevada. Sherman, à 549 milles d’Omaha et 414 milles de Wasatch, à une altitude de 8,424 pieds au-dessus du niveau de la mer, est actuellement la plus haute station de chemin de fer du monde entier. À ce titre seul, elle mérite d’être mentionnée. Il y a un restaurant, quelques bazars et des débits de whiskey. A l’entrée de la station, je remarquai un énorme amas de bouteilles tout à fait en disproportion avec l’exiguïté de l’endroit où elles devaient avoir été vidées ; mais