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de l’église primitive comme les historiens de l’ancienne monarchie traitaient nos annales, quand ils faisaient de Pharamond un roi à la Louis XIV. Les apôtres nous sont dépeints siégeant à Jérusalem, mitre en tête, et rendant des décrets dogmatiques à la façon du pontificat moderne. Rien au contraire ne fut plus libre, plus spontané que la réunion de Jérusalem, décorée à tort du nom de concile. Il s’agissait de traiter une question fort grave, celle des rapports à établir entre les prosélytes sortis du paganisme et les prosélytes issus du judaïsme ; fallait-il les soumettre les uns et les autres aux pratiques hébraïques, ou bien l’église pouvait-elle s’affranchir de la synagogue ? Le christianisme avait-il le droit d’exister par lui-même ? Il est certain que l’église entière de Jérusalem prit part au débat, qu’il n’y eut aucune présidence proprement dite. Paul, dont l’apostolat n’était pas encore reconnu, et Jacques, frère du Christ, qui n’était pas apôtre, y eurent l’influence prépondérante. La résolution fut une mesure sagement transitoire, et elle fut envoyée aux églises au nom « des apôtres, des anciens et des frères. » On est en pleine démocratie religieuse.

A l’époque suivante, nous n’avons pas de conciles généraux ; l’église du IIe et du IIIe siècle n’a point de centre commun ; elle manque de ce qui est l’âme de toute administration : la centralisation lui est inconnue. C’est qu’elle est le contraire d’une administration ; c’est une société essentiellement libre dont l’unité est toute morale et organique. Il y a une église d’Orient, une église d’Afrique, une église de Rome et des Gaules. Chacune a son type, sa physionomie propre, ses coutumes particulières, bien qu’elles reposent toutes sur un fonds commun de doctrine et d’organisation, et qu’elles repoussent avec ensemble ce qui est en désaccord flagrant avec l’essence du christianisme, comme par exemple la gnose sous ses formes bizarres et variées. Les communications sont fréquentes, l’accord est admirable et profond ; cependant la liberté est grande. Entre Justin martyr et Irénée, les différences doctrinales sont patentes. L’esprit large et brillant de Clément d’Alexandrie ne s’emprisonnerait pas dans les formules plus strictes qui plaisent à l’église d’Occident. Dans la lutte contre l’hérésie, on recourt plus d’une fois aux assemblées délibérantes ; mais ce sont des assemblées locales, des synodes, non des conciles, et elles ne réclament nulle part l’infaillibilité. Rien ne fait mieux ressortir leur caractère hautement libéral que la résolution prise par un synode des églises d’Arabie de déléguer Origène auprès de Bérylle de Bostra pour le ramener par la persuasion d’une erreur doctrinale que l’on estimait être grave. Origène lui-même avait été condamné par son évêque à Alexandrie, ce qui n’avait pas empêché les églises d’Orient de le