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furent rangées dans un bel ordre et mises en état de rendre de précieux services à la papauté. Anselme de Lucca, neveu du pape Alexandre II, fut le grand et habile réviseur des décrétales, et mérite d’être appelé le fondateur du droit grégorien. Le cardinal Dieudonné, également aux gages de Grégoire VII, amena l’œuvre au dernier degré de perfection ; c’est lui qui inventa cette maxime commode, qu’il ne fallait tenir aucun compte des contradictions que l’on pourrait remarquer entre les textes rassemblés par lui, et cela en vertu du principe que l’autorité la plus faible doit toujours céder à la plus grande. Il s’ensuit que les traditions libérales de l’ancienne église ne sauraient prévaloir sur les empiétemens ultérieurs des souverains pontifes, par l’unique raison qu’elles préfèrent la liberté à l’autorité ; celle-ci demeure le critère par excellence devant lequel tout doit fléchir.

Pendant les siècles suivans, les falsifications utiles furent considérablement augmentées, jusqu’à ce que l’école de droit de Bologne, vers 1150, en publiât un répertoire complet, véritable arsenal de pièces controuvées — remises à neuf avec une habileté juridique digne d’une meilleure cause ; toutes les armes du despotisme religieux furent fourbies et polies, de manière à être en état de servir au jour voulu selon les besoins de la cour de Rome. Nous nous bornerons à donner quelques exemples de ce droit, destiné à appuyer les prétentions de la curie, et qui a exercé très certainement une influence plus considérable sur le sort de l’église catholique que ne l’ont fait tous les pères ensemble. On y retrouve naturellement les fausses décrétales, tous ces prétendus canons des grands conciles, à commencer par celui de Nicée, auquel on fait dire qu’aucun concile ne devra être tenu sans l’ordre du pape. La donation apocryphe de Constantin qui abandonnait l’Italie au saint-père est recueillie avec soin. Nicolas II avait déjà fait une opération fort élégante sur un décret du concile de Chalcédoine qui formulait le droit d’appel aux premiers diocèses, c’est-à-dire à un des patriarches orientaux ; le pape substitua le singulier au pluriel, vraie bagatelle dont le résultat était d’antidater de plusieurs siècles sa primauté. Gratien y mit plus de rondeur. L’ancienne église d’Afrique avait rendu un décret fort incommode pour les prétentions papales : elle avait interdit les appels outre-mer, c’est-à-dire à Rome. Gratien ne se donna pas la peine de faire une interpolation ou une retouche ; il changea résolument le canon de Carthage en sens contraire, et ce qui était défendu se trouva commandé. Il n’est jamais embarrassé quand il s’agit d’établir par de nombreux canons de son invention que le premier devoir de l’église est de contraindre les hommes au bien et à la foi par tous les moyens coercitifs. « Le pape, dit-il, s’élève