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de l’Asie et de l’Australie, connus sous le nom de coucals (centropus), en fourniront un exemple. On sait combien les barbes des plumes des ailes et de la queue sont flexibles et douces au toucher chez les oiseaux en général. Chez les coucals elles sont au contraire rigides et dures comme des épines. En l’absence d’observations, on aurait peut-être cherché longtemps sans résultat à quelle nécessité répondait cette structure des plumes, mais on a eu les remarques des voyageurs, et tout de suite on a saisi une merveilleuse appropriation. Les coucals habitent de sombres forêts et se nourrissent d’insectes qu’ils sont obligés d’aller chercher au milieu des lianes enroulées autour des arbres. Ces lianes sont d’une extrême dureté ; les plumes ordinaires des oiseaux seraient lacérées, déchiquetées au contact, celles des coucals y résistent.

Si nous voulions passer en revue les espèces d’oiseaux, pour chacune d’elles nous trouverions dans les détails de conformation des pattes les signes de certaines habitudes faciles à constater, — dans la forme et le développement du bec l’indice d’une prédilection pour une substance alimentaire. Sur ce sujet, on a enregistré une foule d’observations curieuses qu’il nous est impossible de rapporter. Voici cependant un exemple, pris à peu près indifféremment au milieu de beaucoup d’autres, d’un bec fort singulier, adapté à un régime très spécial, qui semble fournir un enseignement qu’il est bon de ne point négliger. Tout le monde connaît le bec-croisé (loxia curvirostra), cet oiseau assez joli de plumage qui hante les forêts d’arbres verts et les plantations de pins ; son bec a les mandibules très arquées en sens opposé et croisées vers les deux tiers de la longueur. Il faut voir l’oiseau pourvu de ce bec étrange brisant et épluchant les cônes résineux pour admirer la valeur d’un pareil outil. Une modification bien simple a suffi pour créer l’instrument au moyen duquel il attaque les pommes de pin, et cette sorte d’anomalie ne se produit qu’à une époque tardive du développement de l’animal. N’y a-t-il point là un motif propre à engager les naturalistes qui croient à la mutabilité des espèces à tenter une petite expérience ? Il s’agirait simplement d’emprisonner des becs-croisés dans un enclos et de les priver de leur nourriture habituelle en leur procurant en abondance les alimens recherchés par les oiseaux granivores. Ou les becs-croisés périraient sans se propager, ou, par suite d’un nouveau régime, après quelques générations leur bec aurait changé de forme, et en aurait pris une autre mieux appropriée à un genre de vie différent. Si l’expérience réussissait, notre oiseau des plus ne serait pas encore devenu un vulgaire moineau ou un gros-bec ordinaire, mais au moins la théorie dont on s’est beaucoup occupé aurait gagné un argument sérieux.