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pas à craindre de se faire un mauvais parti, s’il est surpris par le propriétaire. Ce n’est pas la même chose pour l’insecte qui pénètre chez les bourdons ; l’habitation est toujours plus ou moins remplie et gardée par des individus dont les coups sont mortels. La ruse la mieux concertée échouerait. Ici il faut tromper sur sa qualité, il faut paraître bourdon quand on ne l’est pas. Les psithyres ont donc reçu en partage la taille, les formes, les nuances et tout l’aspect des bourdons, et, comme il y a de ces derniers des espèces en assez grand nombre que leurs couleurs distinguent, il y a des psithyres répondant aux particularités caractéristiques de ces différentes espèces. En voyant l’un d’eux, sans crainte d’erreur on peut dire : Voilà le parasite de tel bourdon. Le psithyre entre donc sans être inquiété dans la demeure où l’on travaille, où l’on nourrit les jeunes sujets, son vêtement le fait prendre pour un membre de la famille ; il entre avec la confiance de n’être pas reconnu pour étranger, de n’être point maltraité. Dans les cellules construites en vue d’une autre destination, il dépose ses œufs ; les larves qui en sortiront auront toute l’apparence de celles des bourdons, et ceux-ci, dans leurs soins, n’établiront aucune différence. Ainsi se perpétue une relation entre deux espèces n’appartenant pas au même genre. Les bourdons se passeraient fort bien des psithyres, mais la disparition des premiers serait la perte inévitable des derniers.

Tous ces insectes laborieux qu’on appelle vulgairement les abeilles solitaires et les abeilles maçonnes sont également exposés à recevoir les visites d’hyménoptères de la même famille, incapables de travailler ; mais ces étrangers n’ont pas la livrée des espèces dont ils envahissent les nids ; ils n’en ont nul besoin, ne devant agir que par l’adresse et la ruse. L’abeille solitaire, seule, édifie le berceau de sa postérité, et approvisionne chaque loge d’une quantité de nourriture juste suffisante pour la larve destinée à l’occuper. En quête de sa récolte, elle est obligée de s’éloigner fréquemment ; l’abeille qui ne travaille pas et n’a d’autre souci que d’opérer le dépôt d’un œuf dans la cellule où sa larve mangera la provision amassée pour la larve de l’espèce laborieuse, se tient aux abords du nid où l’on apporte le miel et le pollen ; elle étudie la situation, profite, pour pénétrer dans le réduit, de l’absence du propriétaire, y met un œuf, puis s’échappe furtivement, comme le larron qui ne doute pas du danger qu’il courrait, s’il venait à être rencontré.


V

Lorsqu’on arrête ses regards sur les circonstances de la vie des êtres animés, on est très frappé de voir d’un côté des créatures heureusement douées dont les conditions d’existence semblent pleines