Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffisent à l’alimenter. Il s’est d’ailleurs formé, en matière d’imagination, une sorte de terrain vague où chacun use et abuse du droit de parcours ; bien peu d’écrivains, surtout parmi les romanciers, se sont ménagé une propriété close et distincte. Aussi arrive-t-il rarement que sur quatre publications nouvelles, par exemple, la critique ait à distinguer une œuvre de talent : aujourd’hui cependant elle a cette bonne fortune relative.

L’éloge ne s’applique pas aux Traqueurs de dot. L’art n’a pas été à coup sûr le souci des auteurs en écrivant leur roman. L’enseigne seule, je veux dire le titre, a déjà quelque chose de faux et de forcé. Sous ce titre métaphorique d’un goût douteux on nous donne un récit où précisément les personnages principaux ne sont pas des traqueurs de dot. Je n’ai garde de m’en plaindre, car les ressorts de mélodrame qui font mouvoir particulièrement les traqueurs ne sont pas des plus merveilleux ; passons donc. L’héroïne du livre est une femme qui, alors qu’elle était jeune fille, a fait taire sans trop de peine les préférences de son cœur pour se marier au gré d’une famille où l’on sait ce que vaut l’aune de toute chose. Une fois en pouvoir de mari, elle s’est du reste dédommagée de cette contrainte en prenant un amant. Cet amant, tel qu’il est dépeint, ne donne pas une haute idée de l’effort d’imagination auquel se sont livrés les auteurs. Après tout, cet amant va de pair avec l’héroïne. C’est un des traqueurs de dot annoncés ; les autres, il n’est pas utile d’en parler : ce sont, dans leur genre, piètres chasseurs, dont les guêtres sont mal bouclées et qui manient assez gauchement des fusils de l’ancien système. L’objet traqué dans le livre, c’est la fille même de l’épouse adultère. L’amant de celle-ci entend exploiter ses relations criminelles et l’anxiété bien naturelle de la femme ainsi compromise pour se faire agréer comme gendre. La demoiselle à la dot, qui aime de son côté, sans la permission de ses parens, un jeune étudiant en droit intimement reçu dans la maison, ne s’accommode guère du roué qui la pourchasse. Comment sortir de cette situation ? Les romanciers ne s’embarrassent point pour si peu ; l’Ambigu a des coups de théâtre moins éclatans. On n’a peut-être pas remarqué, dans le pêle-mêle de récits et d’histoires enchevêtrés qui remplissent la première partie du livre, que les auteurs avaient embarqué pour l’Amérique le premier prétendant évincé de l’épouse infidèle : s’ils l’ont envoyé si vite au-delà des mers, c’était évidemment pour qu’il en revînt ; il en revient en effet, et sur un lest précieux, un nombre incommensurable de millions. Il a eu la chance de jouer là-bas un rôle dans une des crises politiques si fréquentes parmi les républiques espagnoles du sud ; il s’est lancé tête baissée dans la carrière toujours ouverte sur cette terre bénie des conspirations et des aventures, et il a reçu de ses complices et protecteurs, comme solde de son concours, des mines d’excellent rapport. Il n’en