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des écrivains et celui des lecteurs. L’imagination et l’idée souffrirent gravement de ce sans-gêne dans le travail ; mais le style et la forme surtout s’en trouvèrent mal. L’idée, elle, peut toujours se sauver, et nous avons pu voir, de notre temps, que les conceptions du roman se transforment et se renouvellent avec assez de facilité. Tout en effet est matière exploitable pour ce genre ondoyant et divers ; après les craintes qu’avaient inspirées des symptômes littéraires fâcheux, on ne peut nier aujourd’hui certains efforts individuels qui tendent à ramener les esprits vers une observation plus attentive et une étude plus posée de l’homme et de la nature. Ce qui, une fois déformé, ne se redresse pas aussi aisément, c’est l’art même de composer et d’écrire. Les meilleurs sujets, les idées les plus vraies ne valent que par la mise en œuvre ; mais ce dur et scrupuleux travail de mise en œuvre exige des dépenses de peine et de temps, des retouches et des reprises qui ne sont guère dans le goût du jour. On n’écrit pas pour les lecteurs de demain, on écrit pour ceux du moment. Aussi un des caractères les plus frappans de la littérature actuelle est celui-ci : jamais on ne vit un aussi grand nombre de plumes faciles ; en revanche, il semble que la moyenne des talens inférieurs ne se soit élevée qu’aux dépens de l’art supérieur : voilà un nivellement démocratique contre lequel il faut protester. Dans cette multitude d’écrivains de romans, qui ont pris possession du livre et du journal, combien en pourrait-on mettre hors de page ? La plupart, à vrai dire, ne se donnent pas la peine de nourrir cette ambition : pourvu que « chaque jour amène son pain », comme dit le savetier de La Fontaine, ils n’ont cure du reste. Quelques-uns, et M. Hector Malot est sans doute du nombre, ont à coup sûr des visées plus nobles ; leur imagination et leur pensée font effort pour s’élever ; mais si la plume ne se met au pas avec l’idée, c’est en vain, au point de vue de l’art, que celle-ci s’élève et se fortifie.


JULES GOURDAULT.


THÉÂTRE DE L’ODÉON.


L’AUTRE, drame on quatre actes et un prologue, par M. GEORGE SAND.


L’Autre n’est pas une pièce facile à raconter en deux mots, elle est touffue, pleine non pas de faits, mais de sentimens. Quoi qu’il en soit, voici la donnée. Durant le prologue, nous sommes dans un sombre château d’Ecosse, où le comte de Mérangis, marin français, a relégué Elsie Wilmore, sa femme légitime, qu’il trompe du reste avec impudence. Or la défaillante femme, — si défaillante qu’elle mourra dans le prochain entracte, — se laisse séduire par le docteur Maxwel et en a une fille.