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alternative, nous ne balançons pas à répondre : Les dangers de l’industrie nourricière sont tels qu’il ne faut pas hésiter à garder l’enfant, même en faisant usage, dans une assez large mesure, de l’allaitement artificiel.

Pour justifier cette opinion, quelques courtes explications sont nécessaires. L’allaitement artificiel et l’alimentation prématurée sont deux choses qu’il faut bien se garder de confondre. Donner à l’enfant du lait au moyen d’un biberon, le faire allaiter par une chèvre, c’est faire de l’allaitement artificiel ; le nourrir de trop bonne heure de soupes ou de bouillies, c’est faire de l’alimentation prématurée. Celle-ci est toujours dangereuse. Dans les quatre ou cinq premiers mois de la vie, les organes digestifs de l’enfant ne sont destinés à digérer que du lait ; c’est là pour lui une nourriture spéciale, la seule qu’il doive recevoir. Si l’on agit autrement, son estomac se fatigue, des troubles digestifs apparaissent, l’enfant maigrit, perd de son poids et succombe souvent, alors même qu’en présence du danger devenu évident on revient, mais trop tard, à l’allaitement naturel. Telle est malheureusement la pratiqué des campagnes, telle est l’alimentation à laquelle ont recours tant de nourrices, et si leur propre enfant robuste, vigoureux, parvient de temps en temps à résister, le nourrisson, né à Paris, chétif, affaibli déjà par les fatigues du voyage et par l’irrégularité de l’alimentation dans les premiers, jours ne tarde point à succomber. Que, vers le quatrième ou cinquième mois, on donne chaque jour à l’enfant un potage, une bouillie légère, rien de mieux, puisque sans nuire à sa santé on se précautionne contre l’éventualité d’une indisposition qui pour deux ou trois jours priverait la nourrice de son lait, mais c’est seulement dans ces limites restreintes qu’on peut admettre l’alimentation prématurée ; hors de là, elle est fatale.

L’allaitement artificiel est regardé par presque tous les médecins comme absolument nuisible. Il y a sur ce point une exagération évidente qui tient à cette circonstance, que les effets n’en ont guère été étudiés que dans les hôpitaux sur des enfans confiés ou abandonnés à la charité publique, ou dans les campagnes sur des nourrissons pour lesquels le manque de soins et l’alimentation prématurée viennent joindre leurs dangers à ceux d’une alimentation artificielle mal conçue, mal dirigée. Ancien chirurgien de l’hospice des enfans assistés, nous sommes malheureusement aussi éclairé que qui que ce soit sur les inconvéniens, sur les périls de l’allaitement au biberon ; combien d’enfans sont morts alors que nous les aurions sauvés, s’il avait été en notre pouvoir de leur donner une bonne nourrice ! Si l’on veut apprécier à sa juste valeur la question de l’allaitement artificiel, il faut établir ici une distinction importante. Lorsque des nouveau-nés sont réunis en grand nombre dans un