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ustensiles du culte de Cérès. Le vase de marbre ciselé qui tient lieu d’urne baptismale est venu d’un temple de Bacchus. Les sceptiques qui en sont encore aux théories religieuses du dernier siècle, les âmes naïves qui appartiennent aux civilisations de fraîche date, peuvent trouver un sujet de risée ou de scandale dans la destination nouvelle qu’ont reçue ces objets, provenant d’un culte tenu pour impie ; mais sceptiques et âmes naïves doivent apprendre qu’il n’y a la matière ni à risée ni à scandale. L’usage nouveau auquel ces objets ont été consacrés se trouve, fait bien curieux, en exact rapport avec leur usage ancien. Ce vase de porphyre appartenait au temple de Cérés, la mère nourricière des hommes ; c’est logiquement qu’il sert de base aujourd’hui à l’autel où s’accomplit le mystère de cette eucharistie qui, dans la foi chrétienne, est présentée comme le véritable pain de vie. Ce vase de marbre ciselé vient d’un temple de Bacchus, dieu de la vigne, symbole de résurrection, de vie transformée ; il sert aujourd’hui à contenir l’eau du baptême, qui efface la tache originelle et rachète l’homme nouveau de l’esclavage de l’homme ancien. La destination nouvelle de ces objets a donc été déterminée avec un tact aussi fin que plein de scrupules. S’étonner que ces instrumens du culte ancien aient reçu un usage nouveau est au fond aussi naïf qu’il le serait de s’étonner que les Italiens, de païens qu’ils étaient, aient pu devenir chrétiens, car en tout temps et en tous lieux les choses suivent nécessairement leur maître et doivent s’accommoder à la nouvelle vie qu’il adopte. Aujourd’hui les dogmes païens sont lettre close pour le vulgaire, qui n’y voit qu’une mythologie poétique et texte à controverses pour nos savans en symbolique ; mais pour les chrétiens des premiers siècles la tradition païenne n’était pas matière à érudition ; même longtemps après le triomphe politique du christianisme, elle était là, vivante, opiniâtre, forte de sa longue durée et de son exégèse, devenue d’âge en âge plus compliquée, plus subtile, plus morale. Beaucoup d’entre les chrétiens avaient vécu d’une vie double ; ils connaissaient les nuances les plus subtiles des symboles qu’ils condamnaient, et quand ils adoptaient pour le service du nouveau culte un objet ayant appartenu à un culte ancien, ils savaient l’emploi précis qu’ils pouvaient lui donner sans profanation ni impiété. Ce vase de porphyre et cette urne de marbre disent bien des choses instructives, entre autres celle-ci sur laquelle nos modernes radicaux pourraient réfléchir plus souvent qu’ils ne le font : c’est que jamais à aucune époque, même au milieu des crises les plus violentes, la tradition n’a pu être interrompue ni seulement suspendue. Le christianisme a été la révolution la plus radicale, la plus complètement victorieuse, la plus universelle surtout qu’il y ait eu dans le